On peut avoir eu une longue carrière professionnelle de métallo dans une grande aciérie, avoir eu des responsabilités syndicales et politiques très engagées, puis commencer ensuite une belle carrière d’écrivain. Stelio Montomoli, bientôt 70 ans, est l’heureux historien de Piombino et de sa région, depuis l’antiquité étrusque jusqu’à son devenir puisque son dernier roman se passe… en 2143 !
Les premiers ouvrages (Di giorno e di notte, 2004 ; La tomba del Lucumone, 2006 ; Intrigo etrusco, 2007) ont clairement été inspirés par les fouilles archéologiques de Populonia et Baratti, premières implantations étrusques de la région et où l’on continue à creuser et faire des découvertes. Une archéologie industrielle, aussi, puisque la plage de Baratti a été la première zone où les Etrusques travaillaient le minerai de fer extrait sur l’île d’Elbe et amené par bateau, dans des fourneaux hauts de moins de trois mètres alimentés par le bois des pinèdes de la côte.
Promenade archéologique mais intrigue policière. L’érudition aurait été fastidieuse, elle sert au contraire de support à des enquêtes à tiroir, à travers les lieux et les siècles. C’est là qu’intervient le commissaire Tabani, symétrique piombinais du commissaire Montalbano de l’écrivain Andrea Camilleri. Rien à voir, se défend-il en excluant toute comparaison avec le grand écrivain sicilien. Tabani est simplement le nom de celui qui fut son directeur à l’autorité portuaire de Piombino, avant qu’il ne lui succède. Baptiser le commissaire du nom de son ancien patron n’était qu’un hommage en forme de clin d’œil…
En 2008, il consacre un ouvrage à l’histoire plus récente de Piombino, I Giorni del gigante (Les jours du géant, Ed. Polistampa), les journées historiques marquées par la chute du fascisme le 25 juillet 1943, puis le changement de camp du nouveau gouvernement Badoglio le 8 septembre 1943, en pleine guerre mondiale, et l’affrontement inévitable avec l’allié allemand de la veille : trois journées de combats violents à Piombino et dans sa région opposeront marins et soldats italiens, soutenus par la population locale en armes, aux unités allemandes venues prendre le contrôle du port. La flottille allemande sera quasiment détruite et l’agression provisoirement repoussée, ce qui vaudra plus tard à Piombino la médaille d’or de la valeur militaire. Des journées folles et si violentes, raconte l’écrivain, que les Allemands ne se risquèrent pas à des représailles lorsqu’ils reprirent le contrôle de la région. Piombino y gagna sa réputation de ville rebelle, héroïne de la résistance italienne, hélas isolée en 1943 lorsque les Allemands occupèrent pratiquement sans combat les garnisons de la moitié nord de l’Italie et n'eurent aucun mal ensuite à reprendre Piombino, abandonnée par sa garnison.
1943, c’était l’année de sa naissance et il n’a donc aucun souvenir possible de cette période, mais son travail sur des recherches universitaires menées par un spécialiste, et sa connaissance des acteurs de la ville lui ont permis, avec un travail d’approfondissement remarquable, de retrouver et retracer le fil de ces journées d’exception à travers quelques personnages un peu romancés.
En 2009, c’est l’ancien ouvrier de l’usine de la Magona qui parle dans Mai (Jamais, Ed. La Bancarella), à travers l’histoire d’un couple contemporain liée à l’usine. Certains critiques ont cru y voir une réponse à Acciaio, le roman de Silva Avallone contesté par nombre d'habitants qui ne se reconnaissaient pas dans une ville aussi sombre, mais il le dément fermement. Acciaio est un roman, et il reconnaît du talent à sa jeune auteure, mais le problème n’est pas pour lui de défendre un point de vue moins négatif sur la ville de Piombino. Son propre roman est aussi une trame amoureuse dans cette population ouvrière qu’il a d’autant mieux connue qu’il en a fait partie pendant presque trente ans comme métallo de base, puis délégué syndical de la CGIL-FIOM (l’équivalent de la CGT-métallurgie).
2010 le ramène aux tombes et mystères étrusques, un mystère d’autant plus épais et réel qu’on n’a toujours pas déchiffré l’écriture et la langue étrusque, et qu’on continue à faire de nouvelles découvertes sur cette culture à travers les fouilles terrestres et sous-marines. A travers les enquêtes du commissaire Tabani, ce sont tour à tour L’elemento mancante et Nel segno dei pesci (L’élément manquant et Le signe des poissons, Ed. La Bancarella), que j’ai personnellement lus d’une traite en passant deux nuits blanches, tant l’histoire est prenante dans des lieux connus et parcourus en bord de mer, à flanc de colline et sur les hauteurs de Populonia. Une petite ville étrusque perchée au-dessus d’une rade unique, sans doute l’une des premières installations en Toscane des Etrusques, dont les origines et l’histoire restent à écrire.
Montomoli s’y essaie avec Visione – Fofluna (le nom étrusque de Populonia, Ed. La Bancarella), l’épopée d’un groupe de jeunes partis de Thrace ou d’Anatolie, traversant la Grèce à la recherche d’une nouvelle terre de peuplement qu’ils trouveront sur ce rivage tyrrhénien du canal de l’île d’Elbe. Une histoire d’errance à la recherche d’une terre plus accueillante, de navigations désespérées, d’exploration de côtes jusqu’à découvrir le littoral fertile de ce qui ne s’appelait pas encore la Toscane.
L’Histoire est passionnante, mais elle n’est pas finie. L’histoire de Piombino est liée au travail du fer depuis plus de deux mille ans, le sort de l’aciérie qui barre l’entrée de la ville industrielle est d’une actualité dramatique pour tous les Piombinais, même ceux qui ne sont pas employés directement par l’une des usines du complexe sidérurgique. L’ancien délégué syndical connaît les appréhensions, les tensions contre les immigrés en période de crise, le désenchantement des jeunes face aux suppressions d'emploi. Son dernier livre, Il Mondo oltre i tempi confusi (Le monde après le temps de la confusion, Ed. Ouverture), sorti en juin, est une projection un peu prophétique de ce que la ville peut devenir avec la fermeture probable de son activité sidérurgique, le rejet des immigrés, la xénophobie et le repli sur soi. La ville vit dans son cœur industriel toutes ses contradictions, entre les racines antiques du travail du fer, la grandeur passée du miracle italien – notamment l’industrie automobile, grande consommatrice d’acier – et le capitalisme mondialisé avec la récente prise de participation des Indiens et des Russes et leurs hésitations successives.
Montomoli a aussi été militant politique depuis son tout jeune âge, membre du PCI puis du parti démocratique de gauche (PDS), tout en étant syndiqué à la CGIL. Il a été par la suite conseiller municipal, puis directeur de l'autorité portuaire de Piombino. Son militantisme n’a pas décru mais s’est élargi en s’identifiant à l’histoire d’une ville rebelle depuis l’Antiquité, et rebelle à travers toutes les périodes historiques. Et sa soif d'action est restée intacte car, à son bel âge, il n’est pas un retraité reconverti dans l’écriture, et se dépêche de retourner à ses obligations : il vient d’être nommé, en mai dernier, président de la société Toremar, la compagnie des ferries qui assurent la liaison avec l’Elbe.
Un double symbole, politique, puisque cet ancien métallo communiste devient président d’une société tout juste privatisée, et historique, puisque son sujet de prédilection est précisément l’établissement par les Etrusques de la liaison maritime entre l’île et le promontoire de Piombino-Populonia…
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.