La réforme de l’organisation administrative italienne, fusionnant un certain nombre de "provinces" au sein de nouvelles régions, suscite comme partout en tel cas des rigidités et des résistances liées aux particularismes locaux. Mais dans certains cas, ce sont des rivalités séculaires qui refont surface et la levée de boucliers de Pise, héritière des fameuses républiques marines avec Gênes, Venise et Amalfi, est spectaculaire contre l’idée de se trouver "soumise" à Livourne, le grand port industriel à l’embouchure de l’Arno.
Manifestation en costumes Renaissance avec écus aux armes de Pise, une croix blanche sur fond rouge, déclarations tonitruantes dans la presse, slogans vindicatifs: “mieux vaut un jour comme Pisan que cent comme Livournais” – “Jamais Pise ne passera sous Livourne”. C’est moins l’intégration dans une région plus vaste que la soumission administrative à Livourne qui ne passe pas.
Les Livournais de leur côté entretiennent un patrimoine de traditions et de plaisanteries qui ridiculisent les Pisans. Le plus célèbre étant l’adage : « Meglio un morto in casa che un Pisano all’uscio » (mieux vaut un mort chez soi qu’un Pisan à la porte d’entrée), qui est peut-être une réminiscence de combats anciens mais révèle une certaine violence.
Pour mener leur « croisade », les Pisans utilisent des armes modernes : une page Facebook « Pise doit rester chef-lieu de province», lancée le 25 juillet, a déjà drainé des milliers d’adhérents et de soutiens, 22.000 selon les organisateurs.
Livourne n’est pas en reste, mais n’a pas besoin de fanfaronner pour espérer consolider cette suprématie, dominant déjà Pise au football. Construite autrefois comme débouché maritime par la République de Pise avec l’ensablement de l’Arno et du port de Pise, Livourne a été pris ensuite par Florence et a connu avec la grand-duché de Toscane un développement spectaculaire, devenant un carrefour maritime grâce aux lois livournaises, de la fin du 16e siècle, accordant aux marchands et aux habitants de la ville une très grande liberté de commerce mais également de culte. Ce n’est donc pas par hasard si Livourne est restée à travers les siècles une ville attachée à sa liberté, ferment d’idées égalitaires et ancrée à gauche – c’est à Livourne qu’est fondé en 1921 le parti communiste italien.
De son passé, Livourne tire argument aujourd’hui : pour le président de l’actuelle province de Livourne, Giorgio Kutufà, Napoléon avait déjà tranché : « pendant la seule période où les deux provinces (Livourne et Pise) ont été réunifiées, entre 1808 et 1814 au sein d’un Département de la Méditerranée, Livourne était préfecture et Pise et Volterra sous-préfectures, par décision de l’empereur Napoléon, le plus grand homme d’Etat de l’époque moderne ». L’Ile d’Elbe sera rattachée à ce département, avant que Napoléon y soit envoyé comme Empereur de l’île…
Le Sénat italien a confirmé que le critère de choix était la population d’une agglomération, et aussitôt des supporters pisans ont prétendu que l’agglomération pisane faisait plus de 200.000 personnes, dépassant Livourne. Le quotidien « Il Tirreno » a lancé un vote auprès de ses lecteurs, auquel on peut répondre sur Internet, pour décider qui des deux villes doit l’emporter, une sorte de e-palio. En moins de 24 heures, Pise avait recueilli plus de 850 voix, soit les deux-tiers des votes exprimés. Reste aux Livournais à se précipiter sur leurs souris et lancer leur clic, pour enrayer l’offensive pisane.
Le cas Pise-Livourne est spectaculaire car il fait remonter de vieilles blessures, mais il n’est pas isolé. Beaucoup d’autres chefs-lieux de provinces actuelles protestent pour ne pas devenir sous-préfectures au sein des nouvelles régions. Comme Massa et Lucca qui ne veulent, pas être intégrées comme Pistoia à Prato, voisine de Florence… Un beau sujet d’été pour distraire d’une crise de pus en plus présente dans la vie quotidienne des Italiens….
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