Une exposition originale au musée du Jeu de Paume à Paris, “Manuel Álvarez Bravo, Un photographe aux aguets (1902-2002)”, permet de découvrir un créateur mexicain qui a utilisé son appareil photo comme un outil de peinture, de cinéma et de poésie, et montre le cheminement d’un photographe qui a traversé les plus grands courants du 20e siècle.
Bien qu’il n’y ait pas une foule compacte, il faut s’armer de patience et de bonnes lunettes car l’ensemble des photos exposées sont des tirages en petit format, genre 18 x 24, des photos admirablement tirées et encadrées mais dont il faut s’approcher de près pour les apprécier, dans ce rez-de-chaussée pas trop lumineux par temps couvert sur la Concorde…
C’est clairement un parti-pris, car on a voulu montrer le travail de l’artiste dans sa dimension originelle, avec des pellicules de film dans une vitrine et l’indication sur chaque photo de son origine (photo argentique, film 8 mm, numérique). Car l’une des originalités d’Alvarez Bravo est son œil cinématographique : co-fondateur du ciné-club mexicain, photographe de plateau, ami de nombreux réalisateurs, il s’était imprégné d’Eisenstein après “Que viva Mexico”, avait racheté sa caméra et concevait son appareil comme une caméra immobile, après avoir conceptualisé que certains réalisateurs créent le mouvement par la juxtaposition de plans.
Paradoxe et mérite des conservateurs qui tentent d’expliquer son cheminement à travers de multiples carrefours, de la révolution mexicaine au surréalisme, du figuratif à l’abstrait, du marxisme à une démarche libre et très inventive dans la recherche des moyens, non enfermée dans une idéologie mais pleine de poésie créatrice. Ils analysent ainsi les influences multiples et ses recherches empiriques, notamment sur la couleur : lui-même était un homme d’images et préférait raconter en images que décrire en paroles, avec une force du regard qui donne une certaine agressivité à nombre de ses photos.
Ainsi une femme nue allongée, “peinte” par le photographe en 1938, va-t-elle trouver une résonnance dans un autre corps allongé, celui d’un ouvrier gréviste tué par la police, lors du grève à Tehuantepec en 1943. Une photo symbolique qui servira de couverture à plusieurs publications révolutionnaires ou marxistes-léninistes, idées dont il sera proche sans se laisser enfermer – il sera l’ami du “muraliste” Diego Rivera et fera un très joli portrait de Frida Kahlo, que je n’ai pas vu à cette expo du Jeu de Paume mais que je ne résiste pas au plaisir de mettre ici en bas…
A cette image de gréviste assassiné succèderont une série de “gisants”, corps allongés saisis dans leur immobilité, où l’on voit l’imbrication mexicaine de la vie et de la mort, ce que les commissaires de l’exposition appellent “sa forme de dissonance visuelle” en juxtaposant des images “choquantes”, alors qu’on peut y lire aussi bien une forme de continuité dans le temps au-delà de la mort… Le Mexique ne se réduit pas à Buñuel, même si le photographe en a aussi été influencé.
Etonnant travail qu’on ne résume pas avec des mots, où des paysages minéraux ainsi que les pointes des cactus sont autant de prétextes à de la photo abstraite, mais où les portraits sont également très humains, d’une grande discrétion, comme les nus très pudiques et presque oniriques, le visage toujours masqué ou voilé. Travail remarquable aussi sur la couleur, avec des clichés presque monochromes, par le fait non de filtrages mais de l’observation des dominantes dans un paysage ou une scène de rue. Il était également un observateur de la vie sociale dans sa dimension la plus humaine, comme son ami de plusieurs décennies Henri Cartier Bresson, dont l’expo présente une lettre adressée en espagnol depuis New-York.
L’expo est ouverte jusqu’au 20 janvier du mardi au dimanche (11 h – 19 h), nocturne le mardi jusqu’à 21 h. Voir aussi le très joli papier du photographe Gilles Walusinski sur son blog, avec de très étonnantes photos dont une du photographe mexicain.
© Colette Urbajtel/ Archivio Manuel Alvarez Bravo (Bicicletas en domingo; La buena fama durmiendo; La hija de los danzantes; El color); © M.A. Bravo/Fotofolio (jeune fille au balcon; Man from Papantla); © M.A. Bravo/The Witkin Gallery (Frida Kahlo).
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