Monter en montgolfière est une expérience étonnante, surtout quand on a la chance de la partager avec une championne mondiale de voltige aérienne, Catherine Maunoury, peu habituée à ce style d’ascension immobile. Catherine a accepté de répondre à mes questions en livrant ses impressions, aériennes et poétiques.
D’abord dissipons une légende : dire qu’une montgolfière est plus légère que l’air, c’est une plaisanterie. Il faut d’abord mettre en place la structure, un panier en osier au fond lesté de métal pour encaisser les chocs à l’atterrissage, une enveloppe de toile de plusieurs dizaines de kg avec des suspentes et des câbles, une structure métallique avec deux gros bruleurs reliés par un tuyau à des bouteilles de gaz… Que ressent-on quand cette masse arrive à s’élever ?
Catherine : « La montgolfière est faussement débonnaire. On la voit passer majestueuse et lente, prise dans la masse d'air. Tout est calme. Elle se soulève doucement du sol. Verticalement. Le seul départ vertical qui pourrait lui être comparé est celui d’une fusée, d’un lanceur vers l'espace, mais alors il s'agit d'un arrachement, violent, presque tragique ; ce qui n'est pas le cas en ballon : à peine peut-on parler de décollage. Presque une caresse.
C'est une ascension, la meilleure approche de l’ascension… Le moment où le ballon quitte le sol n'a rien d’évident, doux, un peu hésitant. Élévation, toucher léger du sol encore, et ascension. Son ombre s'allonge, se détache. On s'éloigne, on s'élève, on rêve en oubliant la lourde intendance. »
Le matériel débarqué d’une camionnette, il faut allonger le panier sur le sol, puis dérouler et tirer l’enveloppe sur un large tapis de sol. Le pilote branche les bruleurs et, avec des aides qui tiennent l’ouverture inférieure du ballon, commence à envoyer de l’air chaud dans l’enveloppe. Quelle sensation de voir cette enveloppe chiffonnée devenir un ballon qui va s’envoler ?
Catherine : « Voir le ballon se gonfler, se relever petit à petit, est assez fascinant car il est possible de marcher, de rentrer à l'intérieur de cette grande enveloppe avant qu'elle ne s'élève. Elle s'ouvre, grandit et on retrouve des sensations d'enfance quand on se construit une petite maison, un monde à soi, quand on se cache sous les draps. Très colorée, l'enveloppe se balance et se comporte en matrice protectrice assez sûre d'elle et de sa capacité à nous emmener. Elle grandit, elle veut se lever, il faut en sortir, la quitter pour la nacelle quand elle se dresse, verticale. Mais le regard et irrésistiblement attirée par elle, levé vers elle ».
L’opération de gonflage prend un bon quart d’heure, il faut garder l’enveloppe tirée en tirant par une corde sur son extrémité supérieure pour lui permettre de prendre sa forme.
En fonction du nombre de personnes disponibles pour aider l’équipage (quatre personnes maximum) à mener à bien les préparatifs, ceux-ci vont durer trente à quarante minutes. Un travail méthodique, il faut tout vérifier, la sécurité se joue dans la préparation. Mais les passagers ne sont-ils pas réduits à un rôle passif ?
Catherine : « Les passagers sont passifs, mais n'est-ce pas toujours le cas ? En avion, nous sommes aussi passifs, mais plus loin du pilote, alors qu’ il ne nous est pas possible de “l’oublier” dans la montgolfière. La nacelle est petite, elle crée une intimité particulière, aucun des mouvements du pilote, aucune de ses actions ne nous échappent. Cela crée un huis clos qui favorise un échange naturel, sans artifice, fait de confiance et d’acceptation de cette passivité. Elle n’est d’ailleurs pas totale car les passagers doivent être un peu acteurs au moment de l’atterrissage. Il faut obéir, sauter peut-être de la nacelle pour l’alléger et puis la retenir pour qu’elle ne remonte pas, etc. »
Lorsque le pilote a tout vérifié, l’équipage prend place jusqu’à ce que l’ordre soit donné à ceux qui sont au sol de libérer la nacelle. Un moment émouvant, le décollage se fait en silence, sauf le grondement régulier des bruleurs, et la bulle d’air s’élève gracieusement dans le ciel et prend progressivement possession du paysage. Un mot sur le pilotage, la concentration et le calme du pilote ?
Catherine : « La proximité du pilote exige de lui un calme parfait. Il est d’autant plus concentré que ses passagers, complètement dépendants, vont ressentir immédiatement toute trace de nervosité ou d’anxiété. La concentration est nécessaire tout le long du vol mais il y a des moments de repos et de détente relatifs. Les choses ne se “corsent” vraiment que pour l’atterrissage. Ce pilotage doit prendre en compte une inertie importante ; tout le contraire du quotidien du pilote de voltige, qui mène une machine ultra réactive. Il m’a semblé que nous étions davantage du côté des manœuvres d’un bateau un peu haut, avec de la prise au vent, dans un port. Pas facile. Les temps d’anticipation sont importants, les temps de réaction très lents et il faut prendre ces paramètres en compte. Je suis convaincue que notre “ordinateur” se charge de ces calculs avec un peu d’entraînement et d’expérience.
« On m’a souvent demandé comment je pouvais arrêter avec précision une figure, par exemple un double déclenché en descente vers le sol. En l’occurrence, je lance l’avion en croisant rapidement les commandes, puis je le laisse tourner en surveillant le défilement de la piste, du sol, du ciel, de la piste, du sol, du ciel et encore de la piste… jusqu’au moment où mon instinct, mon entraînement et mon regard décident de ramener les commandes pour stopper l’avion après une rotation de 720° exactement. Evidemment, tout l’art est dans l’anticipation de mouvements extrêmement rapides : mon regard seul ne peut pas suffire à décider de mes actions. Je suis donc moi-même surprise par mon propre processus de décision… et par le résultat que je constate.
« Dans le calcul de l’inertie du pilotage de la montgolfière, je croirais volontiers que le pilote procède de la même façon. On peut apprendre, on doit apprendre, s’entraîner, s’entraîner, s’entraîner encore et ensuite l’instinct fera le reste. C’est cet instinct qui permettra à un excellent pilote comme le nôtre de nous promener en toute sécurité au ras d’une ligne à haute tension. D’autres resteront un peu plus haut. Le vrai bon pilote est d’abord celui qui connaît ses propres limites, en plus de celles de la machine… »
Pour l’instant on ne s’occupe que de monter. Les passagers se contentent de suivre le pilote, muni de gants épais pour actionner les bruleurs, car la chaleur dégagée par la flamme est celle de deux gros chalumeaux ! Cette motorisation exige beaucoup de souplesse car l’inertie du gros ballon est importante et la réaction n’est pas immédiate. Comment le pilote peut-il maîtriser sa montgolfière ?
Catherine : « Une grande partie de la subtilité du pilotage va consister à savoir jouer avec les éléments, avec le vent, la température, pour essayer de se diriger au mieux, ou au moins mal… On joue avec la verticalité. D’ailleurs notre pilote savait qu’en restant bas, le ballon infléchirait sa trajectoire. Il savait que le vent, poussé par le relief, nous ferait tourner vers un endroit hospitalier. Nous serions probablement allés dans une direction bien différente si nous étions montés plus haut. Il n’a d’autre choix que des altitudes différentes et une grande connaissance de l'aérologie. Cela doit être très amusant de suivre les compétitions… »
C’est une fois à 300 mètres de hauteur qu’on prend conscience de ce que la nacelle est si petite. Certains passagers préfèrent ne pas rester au bord, comme si l’immobilité renforçait le vertige… On se rend compte qu’on n’est pas grand chose quand on découvre l’ombre du ballon devenir minuscule, comme un point d’interrogation posé sur le paysage.
Le vrai charme des déplacements en montgolfière c’est évidemment de partir nombreux, nous n’étions que trois ballons à sortir ce jour-là et la “compétition” a été limitée, faute de vent, à une promenade très bucolique. Finalement, n’est-on pas complètement otage des caprices du vent ?
Catherine : « Le rapport à l’air est très différent de tout ce que j’ai pu expérimenter dans d’autres formes de vol. Ce qui me frappe surtout, c’est l’impression d’être “en l’air” sans vraie protection. Tout à coup, on réalise que le bord de la nacelle n’est pas très haut, que l’on pourrait tomber, que la terre est bien loin. On se demande si le fond est solide, et si, et si ? Mais plus forte que cela est la joie de regarder la terre, car nous ne nous éloignons pas de notre terre sans nous retourner pour l’admirer, la découvrir sous un nouvel angle, vérifier sa beauté et prendre conscience de sa fragilité, sans réaliser que nous n’avons pas d’autre port d’attache. D’un ballon, nous avons le temps de regarder, de voir la nature et ceux qui s’en occupent, d’entendre les aboiements et de sentir son odeur en nous approchant. Fascinant. »
Autant le décollage se fait sur un terrain choisi et aménagé, idéalement une piste d’aérodrome, autant l’atterrissage est purement aléatoire car il dépend des caprices du vent et de l’habileté du pilote. La camionnette de soutien essaie de suivre au plus près, car il faudra ensuite soulever et charger tout le matériel…
Pour la descente, l’altimètre est la taille de l’ombre du ballon sur le sol, qui grossit progressivement et donne l’indication de la direction du vent, précieuse pour que le pilote puisse évaluer le point d’impact et éviter les derniers obstacles, lignes électriques, clôtures et dispositifs d’irrigation…
Fin de l’aventure : le ballon est posé, ce qui demande aussi une certaine dextérité car on peut être traîné sur le sol plusieurs dizaines de mètres avec la nacelle couchée, le maximum de l’inconfort pour l’équipage qui doit surtout ne pas sauter dehors trop tôt, au risque de voir le ballon s’envoler à nouveau… Le contact avec le sol peut être brutal, il est cependant rassurant… Il faudra une nouvelle demi-heure pour vider l’air de l’enveloppe, la replier, tout charger sur la camionnette, sentir à nouveau le poids de ce “plus léger que l’air”. Mais avec du ciel plein les yeux… Que garde-t-on de ce vol en montgolfière ?
Catherine : « Finalement ? C’était trop court ! Nous n’avons pas eu le temps d’atteindre les astres… “Sic Itur Ad Astra” : si les frères Montgolfier ont choisi cette devise, c’est bien parce qu’ils avaient pensé, espéré avoir créé une nouvelle échelle de Jacob ! »
Merci, Catherine, pour ce témoignage unique d'un pilote de voltige en montgolfière !
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