Le Père Noël s’appelle Richard, il saute de très haut pour être au plus près de ceux qui souffrent de la guerre, les combattants comme les populations civiles : le père Kalka, aumônier militaire, a accepté de raconter vingt-sept ans de carrière militaire depuis 1985, et de campagnes ininterrompues puisqu’il a accompagné les forces françaises sur pratiquement tous leurs théâtres d’opérations depuis le Tchad en 1988 jusqu’en Afghanistan encore cette année…
Ni grade, ni médailles, le père Kalka rompt avec l’image traditionnelle qu’on se fait de l’aumônier militaire, auxiliaire du commandement. Il est libre, proche de la troupe, aux ordres du seul « Dieu désarmé », le titre de son « Journal d’un curé de campagnes », et son souci est de faire souffler la flamme de l’espoir dans les situations les plus dramatiques, en accompagnant les soldats jusqu’au plus près du danger, parfois malgré les ordres – il refusera dans le Golfe d’être un "aumônier de l’arrière".
Il ne veut convaincre personne et son livre ne prétend pas avoir de message – du reste il n’avait pas l’idée de le faire, jusqu’à ce qu’on lui demande l’année dernière de raconter sa guerre du Golfe. Puis les récits se sont enchaînés, mais il précise modestement : « ce sont des souvenirs, quelques flashes sur mes missions extérieures, et finalement le tout a formé une sorte de journal ». Mais un journal écrit avec le cœur et avec les tripes et, surtout, avec le franc-parler rocailleux d’un catholique polonais qui n’hésite jamais à dire ce qu’il pense, même si ça dérange. (ci-dessus : messe au Tchad, 1988)
« Mon propos, dès l’origine, explique-t-il, était simplement d’exprimer ma joie et mon bonheur d’avoir été si souvent aux côtés des soldats dans leurs missions extérieures ». Ceux qui cherchent des récits de combats héroïques risquent donc d’être déçus, car les combats de cet aumônier parachutiste, qui totalise plus de 1.300 sauts, il les a surtout menés contre l’indifférence, contre la haine, pour la compréhension des différences et la réconciliation des contraires. (ci-dessous : messe avec le 1er RCP)
Quand je l’interroge sur ses "victoires" militaires, il me répond sur ses "joies", très beaux symboles de paix. La première qui lui vient à l’esprit a été d’aider une villageoise du Centre-Afrique, allongée sur le bord de la route et épuisée après avoir marché des heures pour aller accoucher à l’hôpital. Avec un officier, le capitaine Frédéric Beth, ils ont aidé cette femme à donner naissance à une petite fille, qu’elle a ensuite baptisée Barracuda, du nom de l’opération française en cours en 1989.
La deuxième "joie", mais il en cite bien d’autres dans son livre, est d’avoir négocié avec les autorités bosniaques de Sarajevo, début 1996, l’autorisation pour le métropolite orthodoxe d’aller célébrer le Noël orthodoxe dans une église de la capitale, ce qu’il n’avait pas encore pu faire depuis trois ans qu’il avait été nommé métropolite de Sarajevo. Un petit miracle dans le climat d’affrontement entre communautés.
Modeste toujours, il estime que c’est un "don de Dieu" d’avoir eu la chance de rencontrer autant de gens extraordinaires au cours de ses "campagnes". Un don qu’il a su susciter en étant lui-même à l’écoute de tous, sans distinction de race, de camp ou de religion. Je l’ai vu réconforter des prisonniers irakiens dans le Golfe, d’autres l’ont vu soigner des réfugiés rwandais, cambodgiens, des villageois afghans, suscitant souvent des élans de solidarité spontanée des militaires français qu’il accompagnait. (ci-contre : avec le 1er RHC en Irak)
Le Père Kalka est au service de tous les hommes et de tous les Dieux, bâtissant des passerelles fragiles au-dessus des fossés de la haine avec les pasteurs, les rabbins, les popes et les imams à chacune de ses étapes pour rapprocher les hommes à travers leurs pasteurs, à travers leur interlocuteur propre avec leur Dieu. Un Dieu qui n’exclut pas mais rassemble, qui aime l’humanité sans distinction, Dieu "le bienveillant et le miséricordieux" pour les musulmans, Dieu d’amour pour les chrétiens, Dieu de justice pour les juifs, le même pour tous les gens du Livre, le même qui a créé l’homme à son image pour l’humanité. Il cite souvent son grand ami le pasteur protestant Jacques Roffidal, avec lequel il a partagé trois opérations extérieures, mais a noué aussi des relations de confiance avec le grand rabbin Haïm Korsia, qui a contribué à ce livre par une postface. (ci-dessus : patrouille dans la région de Wardak, Afghanistan)
Mais le livre de Richard n’est surtout pas un traité de théologie, ni un plaidoyer pour l’œcuménisme. Il est un plaidoyer pour l’homme qui traverse l’épreuve de la guerre et qui doit surmonter cette épreuve et s’en sortir indemne en repoussant la haine et l’incompréhension. Au moment où les forces armées s’occupent de plus en plus d’éthique d’une part, de gestion du stress post-traumatique d’autre part, il est rassurant de voir qu’au-delà de toutes les thérapies il y a une dimension qui ne requiert pas de spécialiste et s’ouvre à tous et à chacun, celle de la spiritualité. Un message simple. On peut crapahuter en rangers et treillis de combat sans esprit de croisade, en se battant pour la paix sans se laisser polluer par la haine de l’autre et en restant toujours un homme ouvert à son prochain. Il fallait un aumônier comme Richard pour nous le rappeler.
Et lorsque je lui demande quel conseil il aimerait donner à ceux qui le suivent aujourd’hui dans la mission d’aumônier militaire, il répond simplement : « il faut surtout rester, humblement, à l’écoute de chacun, ne pas imposer son savoir qui est forcément théorique et ne colle pas forcément à la réalité. Pour les comprendre, il faut partager le quotidien des soldats, d’abord en France mais aussi et surtout lorsqu’ils partent en mission extérieure ». (ci-dessus, avec le général Bigeard à Pamiers)
« Dieu désarmé – Journal d’un curé de campagnes », Richard Kalka, 240 pages, éditions LBM (www.little-big-man.com) – distribué par Cap Diffusion.
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