Les réservistes des armées, institution héritée de la loi sur la conscription de 1905, sont inquiets: depuis la fin du service en 1996, et malgré deux lois pour réorganiser leur dispositif, ils voient fondre leurs effectifs avec une relève difficile par les jeunes, faute d’incitations au recrutement et à l’emploi de réservistes par les armées.
(Le colonel ® Jean-Marie Bockel, ancien secrétaire d’Etat à la Défense, en uniforme de la BFA lors de sonintervention comme délégué régional au colloque – photo Cdt (Air) Olivier Cloup).
Cette inquiétude, déjà exprimée à de nombreuses reprises par les associations de réservistes, officiers et sous-officiers, semble aujourd’hui partagée par un certain nombre de responsables militaires. Le système demande à l’évidence à être repensé et reformulé, faute de quoi il risque de disparaître irrémédiablement, alors qu’il constitue un renfort indispensable pour les armées américaines et britanniques, notamment pour les opérations extérieures.
Le congrès annuel de l’UNOR (Union nationale des officiers de réserve et des organisations de réservistes) s’est tenu du 22 au 25 novembre à Mulhouse, avec la participation de représentants du ministère de la Défense, dont le délégué interarmées aux réserves (DIAR) et le secrétaire général du Conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM). D’habitude ce sont les réservistes qui se plaignent tout seuls, cette fois on a réellement entendu des responsables du ministère tirer la sonnette d’alarme sur cette évolution préoccupante, devant plusieurs élus et parlementaires.
Ainsi le contre-amiral Antoine de Roquefeuil, Secrétaire Général du CSRM, a-t-il rappelé le poids historique des réserves dans la défense de la France : en 1914, 600.000 Français avaient été mobilisés, il y avait besoin d’un énorme encadrement, les cadres de réserve se comptaient par dizaines de milliers, dont le lieutenant Charles Péguy, mort au combat dès les premiers jours. Lors de la seconde guerre mondiale, il y a plus de 10.000 cadres de réserve parmi les cadres français dans les camps de prisonniers en Allemagne.
Il faut rappeler aussi la part qualitative des réservistes mobilisés dans les combats les plus glorieux : on ne sait pas assez que quelques grands héros militaires étaient des réservistes mobilisés : le commandant Kieffer, le commandant Antoine de Saint-Exupéry, René Mouchotte… Ensuite la réserve a disparu de la scène pendant la guerre d’Indochine, qui était une guerre de professionnels, pour reparaître avec la guerre d’Algérie, où le contingent a été massivement engagé.
Aujourd’hui de quoi parle-t-on ? La réserve a connu le big bang de la “suspension” du service militaire en 1996. Les ministres de la défense Alain Richard puis Michèle Alliot-Marie ont chacun porté une loi organisant les nouvelles réserves. On a assisté depuis à un tarissement, prévisible, de la ressource des réservistes provenant du service. Le général Faugère, ancien inspecteur général, a indiqué à l’occasion d’un colloque à l’assemblée nationale, organisé par “Démocraties” et “Participation & Progrès”, le 26 novembre que les réservistes n’étaient plus que 54.000, sur une cible de 80.000 en comptant la gendarmerie, un niveau qui tend même à s’éroder depuis fin 2009 (60.500 étaient alors sous ESR).
De plus, la répartition au sein de ce total révèle un glissement : il y a en effet 20% de réservistes « classiques », issus du service militaire et recrutés avant 1996, 40% de nouveaux réservistes recrutés parmi les jeunes mais avec une formation beaucoup plus légère, donc moins opérationnels, et 40% d’anciens d’active : si c’est une solution de facilité à court terme pour l’état-major des armées de faire appel à – ou de prolonger en fin de service – des cadres d’actives aguerris et expérimentés, l’impact est évident sur les budgets (20% des réservistes consomment 80% du budget) et la part consacrée à la formation et à l’entraînement des nouveaux réservistes, donc à la relève sur le long terme, est insuffisante et contredit la lettre et l’esprit de la loi sur les réserves.
Au colloque de l’UNOR, son président le colonel Jacques Vitrolles a évoqué l’inquiétude croissante des réservistes, l’affaiblissement du tissu associatif, la difficulté de fidéliser les jeunes : pour lui la conservation des effectifs est une difficulté avérée et la mobilité géographique des réservistes n’existe pas ; il faut dégager les budgets pour que la réserve ne soit plus une variable d’ajustement, la définition des objectifs devant précéder celle des moyens.
Le Délégué interarmées aux réserves (DIAR), le Général de Division Aérienne Jean-Louis Jarry ne l’a pas contredit, ajoutant même : « sans activité pas de fidélisation, ni de recrutement possible, nous en sommes convaincus, nous ne réussirons pas à maintenir la réserve ». Le DIAR a notamment annoncé un effort pour clarifier la publication des offres d’emploi ESR, inégalement assurée par les trois armées (Marine régulièrement, Terre ponctuellement, Air pratiquement pas).
Pour le DIAR, Il est vital de sanctuariser le budget, avec des moyens à la hauteur des ambitions. Le seuil d’utilisation des réservistes a été établi par l’état-major des armées (EMA) à 23 jours annuels pour être crédible. En réalité, le seuil intégrant la formation est entre 25 et 30 jours annuels. Le Délégué a admis que trop de commandants d’unité tombaient dans la facilité du besoin immédiat en privilégiant les militaires ex-active (carrière ou contrat court), alors que l’avenir passe par le recrutement de jeunes réservistes et leur passage par un véritable cursus de formation, pouvant aller jusqu’à l’enseignement militaire supérieur pour les meilleurs.
Le Contre-Amiral de Roquefeuil a abondé dans le même sens : « L’avenir repose sur le recrutement des jeunes, nous détruisons la réserve à coup sûr avec le budget actuel », un budget de 71 millions d’Euros par an, c’est « nanoscopique » !
Beaucoup serait à dire sur les obstacles au recrutement et à la fidélisation, mais il faut signaler quelques progrès réalisés du côté de l’employeur civil du réserviste. En dix ans, beaucoup de conventions entreprise-défense ont été signées, beaucoup d’entreprises ont découvert l’intérêt des réservistes et leur accordent un soutien nouveau. Le DIAR assistait la semaine dernière à une convention des réservistes chez Thalès, très médiatisée en interne, et l’ancien CEMAA le général Palomeros était venu l’année dernière décorer des ingénieurs de chez Cassidian, filiale EADS, partis au Kazakhstan pour armer les drones Harfang opérant sur l’Afghanistan. Pour autant ces entreprises ne sont pas le cas général et il y en a encore trop, de même que des administrations, qui freinent l’emploi militaire de leurs employés.
Pourtant, les réservistes sont indispensables aux armées pour un grand nombre de spécialités : l’encadrement et les missions d’état-major pour relever les personnels d’active, certains emplois de spécialité dans des organismes interarmées, le renseignement, la cartographie et les drones, les télécommunications. Et certains secteurs ne fonctionneraient pas sans réservistes, dont le Service de santé des armées (SSA).
Mais la fonction peut-être la plus essentielle de la réserve est de participer au lien armées-nation. C’est une fonction de communication et, pour le secrétaire général du CSRM, il est urgent d’améliorer la notoriété de la réserve en France car elle est actuellement catastrophique. Le Délégué souhaite à cet égard qu’on cesse d’organiser les activités de la journée nationale des réserves uniquement dans les enceintes militaires en allant davantage à l’extérieur, notamment dans les lycées, pour promouvoir la réserve auprès des jeunes.
Enfin, pour empêcher une évolution préconisée par l’armée de terre notamment, consistant à confiner les réservistes à des emplois sur le territoire national, certains représentants du ministère de la défense ont estimé que la perspective de participer à des opérations extérieures devait rester ouverte aux réservistes car elle fait partie de leur motivation, même si seule une minorité en a la disponibilité nécessaire. Enfin il faut maintenir une présence dans les “déserts militaires”, car la réorganisation territoriale des armées a certes eu des effets traumatisants sur les familles des cadres d’unités délocalisées, mais elle a eu aussi un effet négatif sur les réservistes qui ne pouvaient évidemment pas suivre le mouvement de leurs unités d’affectation.
De ce débat public, il ressort que la préoccupation pour le devenir des réserves est davantage prise en compte aujourd’hui que dans le passé. Elle l’a été dans le précédent Livre blanc, mais sans projet porteur et se contentant de préconiser l’amalgame entre l’active et la réserve. il faudrait qu’elle le soit à nouveau dans le prochain Livre Blanc et de manière significative et plus structurée notamment sur la notion des compétences et de la mission de relais de la défense dans la nation. Mais, plus encore, il est nécessaire que cette préoccupation se concrétise par les chiffres dans la loi de programmation militaire.
officier de réserve au Rmed du camp de La Valbonne, enseignant dans le civil, j'interviens depuis peu au sein des classes de 3° pour présenter la défense dans toutes ses composantes
les élèves sont intéressés il m'appartient néanmoins de modérer leur ambition et de leur faire comprendre qu'il ne peuvent intégrer tant la réserve que l'active qu'avec un baccalauréat minimum afin d'envisager une carrière au sein de l'institution
Cordialement
Lt(R) SAGNIEZ
Rédigé par : SAGNIEZ | 04 décembre 2012 à 09:11
J'ai quitté la réserve après 7 ans de service, heureuse de cette expérience et du fait de la conjoncture de deux évènements: le déménagement de mon unité et l'arrivée d'un bébé... Je regrette que la situation se dégrade autant, mon expérience me laissant penser que la réserve a beaucoup à apporter à l'active et inversement.
Rédigé par : So | 04 décembre 2012 à 16:19
Bonjour
En tant qu'ancien d'active voici ma réponse :
- Vu la triste situation des finances de l'État , il est normal que l'Active soit servie avant la Réserve
- À notre époque le militaire rentable pour la défense ne peut être que d'active ou ancien d'active, sauf missions simples Vigipirate, ORSEC, et spécialités pointues : santé, langues, techniques rares.
- Les carrières d'officiers de réserve jusqu'à colonel, c'est fini; Leur but était de constituer d'impressionnantes hiérarchies face à la menace soviétique que très heureusement nous n'avons pas affrontée.
- Comme vous l'écrivez, la vocation du réserviste est le lien Armées-Nation mais là comme ailleurs il faut se dire "ne demandons pas ce que la Nation peut faire pour nous mais plutôt ce que nous pouvons faire pour la Nation" dans le cadre de la Réserve Citoyenne.
- Un exemple : ce que je fais avec d'autres pour entrainer jeunes et moins jeunes : www.sennecey1944.com
Bien cordialement
François Prévôt
Rédigé par : François PRÉVÖT | 14 décembre 2012 à 12:58