Dessinée, conçue et coloriée par le peintre muraliste mexicain Diego Rivera dans les faubourgs de Mexico, la Casa Azul a été le lieu de toutes les créations artistiques, de tous les complots intellectuels, des débats politiques les plus passionnés et surtout des amours tumultueuses de Diego et de Frida Kahlo, artiste et pasionaria devenue une icône sacrée pour les Mexicains comme le prouvent ces figurines faites par les Indiens de la région de Oaxaca (le couple Rivera-Kahlo, et Frida d’après ses propres tableaux oniriques).
Transformée en musée, la maison de Coyoacan a été conservée telle qu’elle était habitée mais, en réalité, elle occupait déjà une fonction de musée par une mise en scène de chaque détail.
Derrière la façade et les murs extérieurs peints en bleu vif, d’où le nom de la maison, on entre dans un petit parc aux plantes abondantes entourant des statues amérindiennes de valeur, dont Rivera était un collectionneur averti. Il avait même fait bâtir une petite pyramide aztèque, peinte en rouge, pour placer ses divinités.
Alcôves, niches, jeux de miroirs, jeux d’eau, serpents en pierre à demi-cachés sous des plantes, objets rituels mêlés aux statues antiques, tout dans ce jardin est fait pour inspirer la magie dans laquelle ils baignaient tous les deux, mais surtout Frida qui peignait des oiseaux réels et imaginaires dans beaucoup de ses tableaux.
Les premières salles de la maison contiennent une collection de peintures de Frida elle-même, dans une muséographie dépouillée mais qui les met bien en valeur.
Très symboliquement, parmi ses premiers tableaux se trouvent les portraits des deux grands hommes qui ont compté dans sa vie. D’abord son père, pour lequel elle peint une dédicace touchante au pied du portrait : “j’ai peint mon père Wilhelm Kahlo, d’origine germano-hongroise, artiste photographe de profession, de caractère généreux, intelligent et fin, et courageux puisqu’il a souffert pendant soixante ans d’épilepsie mais sans jamais cesser de travailler, et qu’il a combattu Hitler ; avec adoration, sa fille Frida Kahlo”. Et le deuxième est Joseph Staline, qu’elle peint en tableau où elle se représente elle-même comme artiste peintre devant son chevalet. Un amour qui contrariera beaucoup Diego, lui-même expulsé de Moscou en 1927 pour “activités antisoviétiques”, puis exclu du PC mexicain, et qui rejoindra la IVe Internationale avant de s’en faire exclure aussi car décidément incontrôlable… Les schismes du communisme éloigneront le couple, qui divorcera en 1940, mais Diego et Frida se retrouveront après l'assassinat de Trotsky, qui était leur ami, et se remarieront pour toujours.
Parmi ses œuvres d’inspiration très variée, un sobre autoportrait inachevé au fusain et à l’huile, fait à Detroit en 1932, et au fusain, et un luxuriant “Viva la vida” fait de pastèques, peint en 1954, l’année de sa mort, dans la maison bleue de Coyoacan.
Une des salles présente toute une collection d’ex-votos recueillis sans doute dans des églises, peintures naïves ou photos faites par des victimes rescapées de maladies, d’accidents, d’attentats, elle-même se considérant comme une miraculée de l’accident de car qui l’a pourtant laissée handicapée à vie.
Deux remarquables portraits montrent bien le caractère entier, souvent ombrageux, de cette femme sensible mais souffrante : une huile de Roberto Montenegro de 1936, et une photo, “Frida au châle magenta”, faite par Nickolas Muray à New-York en 1930.
Une salle révèle également quelques remarquables tableaux de Rivera, surtout connu pour ses fresques murales géantes comme Orozco et Siqueiros, dont un “réveil” d’inspiration cubiste, peint en 1914, et un paysage marin de 1956. Le même Siqueiros qui tentera d’assassiner Trotsky, j’en reparlerai plus tard…
Egalement très cubistes, cette femme-guitare et ce “paysage à la locomotive”, locomotive dont on trouve la maquette en métal dans l’atelier à l’étage au-dessus.
Pour passer à l’étage il faut traverser une salle à manger et une cuisine également colorés et inondés de soleil et de reflets du jardin, agencés là aussi comme un décor. Frida Kahlo et Diego Rivera devaient passer beaucoup de temps à choisir les objets et à faire ou refaire la décoration de toute la maison…
L’atelier de Frida, au même niveau que sa chambre, lui permettait de travailler sans trop se déplacer, grâce à son fauteuil roulant d’infirme encore présent dans l’atelier. De là-haut, avec sa batterie de crayons, de pinceaux, de tubes et de flacons, elle dominait son jardin magique comme elle dominait le monde, survolant le paysage avec la légèreté dont elle était privée physiquement.
Les deux dernières chambres sont tristes, car elles sont le refuge le plus intime de Frida, là où elle a joué, grandi, souffert, pleuré et où elle a fini par mourir en 1954. Là aussi mis en scène, peut-être par Diego lui-même, son lit de souffrance avec un masque qui pourrait être le sien, un granbd châle, et juste au-dessus, une photo de Lénine avec casquette. Face à elle, sur le mur opposé, une frise du panthéon marxiste fait de gravures chinoises, donc post 1949, où l’on retrouve dans cet ordre Staline, Engels, Lénine (au centre, forcément), Marx et Mao. La chambre d’enfant est celle où il y a tous ses jouets, son banc de petite fille, ses souvenirs et, sur la commode à côté d’un dieu indien, l’urne qui contient ses cendres…
J’ai gardé pour la fin la chambre occupée par Léon Trotsky lorsqu’il est arrivé au Mexique grâce aux efforts du couple pour lui obtenir l’asile politique. Il n’y restera qu’un temps, puis se brouillera avec un couple baroque et certainement atypique (elle de la IIIe, lui de la IVe Internationale) pour aller habiter à moins de km de là, dans une maison nettement moins luxuriante où il vivra retranché mais sera rejoint par les tueurs de Staline. Ce sera l’objet d’un prochain billet…
A visiter, le remarquable site du musée : http://www.museofridakahlo.org.mx/Eluniversointimo.html
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