Fernando Botero, que j’admire et redécouvre avec plaisir chaque fois que je voyage (Mexico en avril, Pietrasanta en Toscane en juillet et Oaxaca en décembre), révèle à chaque approche une facette différente de sa sensibilité : tour à tour sensuel, flamboyant, critique social, il reste d’abord un artiste engagé et dénonce en permanence la violence faite au peuple, le massacre des innocents, la folie meurtrière des puissants.
A Mexico j’avais été frappé par la dénonciation des violences américaines en Irak, avec des images très dures des tortures dans la prison irakienne d’Abou Ghraib, ou de Guantanamo, que je découvrais bien qu’elle ne fussent pas nouvelle. A Oaxaca, dans le sud du Mexique, sa condamnation imagée et crue vise explicitement les narcotrafiquants latino-américains et, si quelques petits drapeaux colombiens illustrent certains tableaux, la dénonciation doit s’entendre comme beaucoup plus large, et s’applique à l’évidence aux cartels mexicains de la drogue, puisque les “narcos” ne connaissent pas de frontières.
Présentée avec sobriété dans un ancien palais colonial du centre ville, l’exposition “Témoins de la barbarie” (Testimonios de la Barbarie) est bien mise en valeur dans un environnement dépouillé dont les murs blancs renvoient un éclairage réduit (d'où la qualité très relative de ces photos prises dans la pénombre), créant comme une atmosphère de recueillement qui convient à ces “passions” où l’on voit des hommes, des femmes et des enfants tués par rafales, à l’arme blanche, mutilés ou découpés et parfois pleurant des larmes de sang.
Les organisateurs préviennent le visiteur que, même si le lien est évident et direct entre les scènes de violence présentées et les évènements survenus en Colombie ces dernières décennies, Botero dénonce plus généralement la violence qui s’est intensifiée dans la région à partir des années quatre-vingt, avec l’explosion du trafic de stupéfiants et la violence qui entoure cette progression, la montée du nombre des victimes étant illustrée ici par des massacres collectifs et des forêts de cercueil…
Contre la menace d’une extradition vers les Etats-Unis qui les réclament pour les juger, les patrons des cartels pratiquent l’intimidation de l’Etat par un recours systématique à l’enlèvement, à l’intimidation et à l’assassinat des juges et des enquêteurs, aux responsables des services de renseignement et autres personnages publics.
Une violence propagée à travers le territoire colombien par l’affrontement entre mouvements de guérilla et forces paramilitaires liées à des groupes d’extrême-droite, en concurrence pour le contrôle de la drogue. L’élimination des principaux chefs des cartels, à la fin des années quatre-vingt, a eu comme seul effet, selon cette exposition, de transférer le contrôle de la drogue aux organisations extrémistes armées, prenant la population encore plus en otage.
Un million et demi de Colombiens ont été déplacés en raison de ces affrontements pour le contrôle du territoire et la violence politique a atteint son paroxysme après 1997, avec un rythme sans précédent d’assassinats, d’enlèvements, d’extorsions de fonds et d’attentats contre la population civile, personne n’étant épargné…
Victimes pleurant des larmes de sang, femmes éplorées en mater dolorosa, hommes et femmes souffrant l’agonie de la passion, les réminiscences de l’art religieux baroque propre au Mexique et à l’Amérique latine abondent. Larmes de sang qu’on trouve également dans l’art amérindien. Mais c’est aussi une symbolique pasolinienne où l’on voit les victimes nues face à leurs tortionnaires habillés, comme pour mieux souligner leur vulnérabilité.
Dans un Mexique qui, inégalement selon les régions, connaît aussi la montée de la “narco-violence”, l’exposition de Botero a valeur, une fois de plus dans le parcours de cet artiste éternellement engagé, d’engagement militant d’une actualité totale et sans compromis. Le relief des formes chez un peintre qui est d’abord un sculpteur, et la sensualité des rondeurs donnent à ces chairs sacrifiées un aspect encore plus poignant. Au crayon ou à l’huile, en noir ou en couleurs, la passion selon Botero est terriblement suggestive.
Bonne et heureuse année Pierre avec mes souhaits de nouveaux voyages merveilleux (à partager pour mon plus grand plaisir).
Hedy
Rédigé par : hedy | 10 janvier 2013 à 00:38
Merci Hedy et tous mes meilleurs voeux à toi ! Amitiés,
Pierre
Rédigé par : Pierre Bayle | 12 janvier 2013 à 17:54