Sans file et sans foule, L’expo “Marionnettes du bout du monde” offerte par le musée français de la carte à jouer, à Issy les Moulineaux et jusqu'au 25 mai prochain, porte bien son nom : on peut rêver sur un patrimoine qui parcourt les continents avec le même dosage subtil de naïveté, de magie, d’ironie qui prouve que les marionnettes ne sont pas seulement un spectacle pour enfants mais un exutoire culturel et social. Avec des téléscopages savoureux, comme cette “femme américaine” caricaturée par le théâtre traditionnel thaïlandais dans une figurine des années 1950, à côté de la princesse Sita, l’un des compagnes du dieu Vishnu.
Au premier étage du musée, construction moderne et lumineuse, les marionnettes d’Europe et d’Asie se font face, encadrant les marionnettes et marottes africaines dans des vitrines centrales. Un marionnettiste salvadorien, venu en connaisseur, m’explique la différence entre les marottes, marionnettes fixes brandies sur un axe, et les marionnettes suspendues à des fils – les silhouettes du théâtre d’ombre constituant une autre catégorie.
Deux beaux exemples de marottes sont ces deux poissons du Mali, dont un poisson-cochon (à droite). On retrouve ces mêmes figures de poissons dans des silhouettes en bois et tissu sous lesquelles se placent les danseurs. Mais il s'agit bien d'outils poour des spectacles, et non de simples scutpures.
Ainsi par exemple, ci-dessus à gauche, un danseur Gèlèdé de l’ethnie Yorouba du Bénin, à côté d’une Marotte Sogobo, de l’ethnie Bozo du Mali ; ces deux personnages qui ne sont pas de simples statues habillées appartiennent à la collection de la Compagnie du petit bois, principal contributeur de l’expo avec d’autres collections dont celle de Jacques Lebrat, celle du Théâtre du Petit miroir, etc.
Ces figures offrent parfois un étonnant mélange de traits caricaturaux et d’expressions réalistes, comme à gauche ce masque Gèlèdé avec une tête stylisée surmontée de la figurine d’un personnage de haut rang du Ghana, à côté d’une marotte Sogobo représentant une femme peule, de l’ethnie malienne Bozo.
Face à l’Afrique, l’Asie se présente avec les deux cultures du théâtre d’ombre et des marionnettes animées, dont certaines exceptionnelles, notamment une belle série de figurines chinoises : à gauche des marionnettes à baguettes en terre cuite, tissu et fer, de la région du Chaozou (Guangdong), à droite des marionnettes à fil en bois peint, tissu et bambou.
Deux beaux témoignages également de l’artisanat de Taïwan, une marionnette à tige représentant un lettré, des années 1950-60, et une marionnette à gaine (qu’on enfile sur la main) représentant sans doute une princesse, du début du 20e siècle.
Plus loin, un vieux sage (à gauche), marionnette à gaine du Fujian chinois, voisine avec une marionnette birmane à fils de Yoke Thay Thabin, du début du 20e. Tête en bois, vêtements en tissu brodé, fils d’or et pierres brillantes, le style change mais les techniques sont voisines, de la Chine à l’Inde en passant par l’Asie du sud-est.
A gauche une marionnette à fil unique du Rajasthan, en bois peint et tissu, à droite une marionnette de la même origine avec un joueur de cornemuse. En Indonésie et Malaisie, comme en Thaïlande, les marionnettes en bois voisinent avec les marionnettes en silhouette. Un documentaire projeté à l’entrée montre notamment des scènes de théâtre d’ombre vues devant (gauche) et derrière (droite) l’écran, avec le jeu des montreurs qui sont de véritables danseurs.
Etonnante passerelle entre le théâtre d’ombres asiatique et l’Europe, le théâtre d’ombres turc Karagöz (ci-dessous à droite), passé par l’Egypte, qui se veut un théâtre de critique politique et sociale. On n’est pas loin de Polichinelle, héros libertaire et redresseur de torts, comme son cousin napolitain Pulcinella, et qui deviendra ensuite Guignol à Lyon.
Héros patriote, le guerrier sicilien de l’Opéra dei Pupi se bat contre le méchant Sarrazin, le “Mauresque”, alors que dans le théâtre tunisien c’est le Sarrasin qui est le héros. Le chevalier Roland devient plus tard D’Artagnan, ici à droite c’est bien un chevalier gascon qui s’apprête à défendre son roi et sa terre.
Du mousquetaire il ne reste que le gendarme, partenaire de Guignol, moins héroïque et parfois un peu moqué. La marionnette contemporaine est devenue moins militante ou emphatique, plus proche des plaisanteries potaches et des peurs enfantines. Pour autant le patrimoine reste universel, et le succès du dessin animé comme du manga vient en droite ligne de l’engouement populaire pour les théâtres d’ombres “d’avant la télévision”.
Le musée de la carte à jouer offrait ce dimanche un bonus, deux niveaux en-dessous de l’expo : une initiation au Mah-jong, avec une dizaine de tables à jouer et autant de “moniteurs”. Encore une ouverture sur le monde, Issy les Moulineaux est un port ouvert sur le large…
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