Publié par Histoires et Collections, “L’extraordinaire épopée du lieutenant Marchal” vient réparer un oubli, celui du raid solitaire effectué par Anselme Marchal le 20 juin 1916 pour aller larguer des tracts au-dessus de Berlin, parcourant 1300 km sur les 1500 que prévoyait son raid avant de devoir se poser pour panne moteur et d’être fait prisonnier.
Bien avant le raid épique et médiatisé du poète et aviateur italien Gabriele d’Annunzio sur Vienne, le 9 août 1918, à la tête d’une escadrille de treize biplan Ansaldo SVA 5 (ci-dessous) de la 87e escadrille la Serenissima, dont dix revinrent à leur base de départ, Marchal avait accompli une véritable prouesse : il s'était lancé seul et sans escorte, sur un biplan Nieuport Spécial modifié à partir d'un modèle XII, avec une autonomie de vol portée à quatorze heures, pour un vol de Nancy sur Berlin, avec l’objectif de se poser en Russie pour revenir ensuite par un second raid sur Vienne. Un détail situe cet exploit en solitaire : il s'était muni d'une carte du trajet à parcourir qui faisait sept mètres de long.
Pour l’exactitude historique, Marchal n’était pas non plus le premier à effectuer cette “opération spéciale” avant l’heure.
Dès le 30 août 1914, le lieutenant allemand von Hidessen avait survolé Paris, depuis les lignes allemandes relativement proches, larguant des centaines de tracts au format carte postale avec pour seul message : “l’armée allemande se trouve aux portes de Paris. Il ne vous reste qu’à vous rendre”.
Mais son message n’était pas vraiment pacifique puisqu’il avait largué aussi, avec ses tracts, trois bombes sur la population parisienne…
Et puisqu’on vient de voir le message lapidaire de Hindessen, un coup d’oeil rapide aux deux autres messages des PsyOps de l’époque. Celui du Français, fait par le Service de propagande aéronautique (SPA) et cité par ce livre dans son intégralité, est un message réellement pacifique: “nous aurions pu bombarder la ville ouverte de Berlin et tuer des femmes et des enfants, mais nous nous contenterons de faire connaître au peuple la proclamation suivante : les aviateurs français à la population berlinoise ; vous luttez pour vos rois sanguinaires, pour vos Junkers et vos agrariens (...). Nous luttons pour la liberté de tous les peuples, contre la tyrannie d’une caste militaire, nous voulons qu’une tuerie comme celle à laquelle nous assistons devienne impossible pour toujours…”
Côté italien, le grand poète d’Annunzio adresse aux Viennois une ode épique et échevelée : “Le destin tourne. L’heure est passée pour toujours de cette Allemagne qui vous traîne, vous humilie et vous infecte. Votre heure est passée (…) Les combattants victorieux du Piave et de la Marne le sentent et le savent, avec une ivresse qui décuple l’élan (…) Sur le vent de la victoire qui se lève des fleuves de la liberté, nous ne sommes venus que par la joie de la hardiesse, que pour prouver ce que nous sommes capables de faire. Vive l’Italie !” (Ci-dessous, un SVA 5 du musée de Vigna di Valle au nord de Rome).
Mais à côté des 50.000 tracts d’annunziens, le commandement italien a aussi prévu 350.000 tracts plus compréhensibles : “Viennois, nous pourrions vous lancer des tonnes de bombes mais nous ne vous lançons qu’un salut aux trois couleurs de la liberté. Nous Italiens ne faisons pas la guerre aux enfants, aux vieillards et aux femmes, nous combattons votre gouvernement ennemi des libertés nationales, gouvernement aveugle et têtu qui ne vous donnera ni la paix, ni le pain, qui vous nourrit de haine et d’illusions (...). Peuple de Vienne, réveille-toi !”
Cette mise en perspective étant faite, le raid de Marchal n’en est que plus exemplaire en ce qu’il est un véritable exploit physique, sportif et militaire. Parti de Nancy à la tombée de la nuit, le pilote solitaire avait survolé l’Allemagne sur 700 km, dans le noir et en partie sous la pluie, pour arriver sur Berlin à 2 h 10 du matin et larguer ses 5.000 tracts. Il lui restait ensuite 8àà km à faire pour gagner la Russie, d’où il devait partir pour son raid retour sur Vienne et larguer 5.000 autres tracts.
Mais à cause d’une avarie de son moteur rotatif Rhône de 80 cv, après 1.300 km de vol sans escale, il devra se poser à Kolm (Chelm) en Pologne, où il sera capturé par les Autrichiens. Ceux-ci l’accueillirent presque en héros et le traitèrent d’abord avec courtoisie, avant de le livrer aux Allemands. C’est la deuxième partie du livre du lieutenant Marchal, publié la première fois en 1919 sous le titre : “Après mon vol au-dessus de Berlin. Ma captivité, mes évasions”. Car il lui faudra s’y reprendre à trois fois pour arriver à s’évader sans être repris, cette fois en 1918 avec Roland Garros, une saga à découvrir. Le mérite de cette réédition est de compléter le récit du pilote par une longue introduction nourrie de détails techniques, avec également quelques documents photoghraphiques.
On dit que Jean Renoir s’inspira de son récit pour écrire La Grande Illusion en 1937, et que le lieutenant Maréchal – Jean Gabin – serait un avatar de Marchal. En tous cas ça se lit comme un roman, avec une écriture particulièrement féroce quand il décrit ses geôliers…
L’Extaordinaire épopée du Lieutenant Marchal, 304 p, Histoires & Collections
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