C’est un homme de théâtre au départ, puis acteur exceptionnel, Toni Servillo, qui vient de permettre au réalisateur de La Grande Bellezza, Paolo Sorrentino, de gagner l'Oscar du meilleur film étranger le 3 mars dernier à Hollywood. Il crève aussi l’écran dans “Viva la libertà” de Roberto Ando, jouant un double personnage dans une scène politique italienne où triomphe la folie – on est bien entendu dans la pure fiction…
Dans la Grande Bellezza, Servillo est Jep Gambardella, journaliste, essayiste, auteur d’un seul livre mais écrivain dans l’âme et frustré, qui promène son regard caustique sur une Rome décadente où l’on retrouve du Fellini et du Visconti, plus bien entendu toutes les références à la vie politique, littéraire, mondaine et aux liens éternels de la ville avec le Vatican.
Jep est désabusé tout en restant tendre et humain, ses personnages sont caricaturaux et réels, on passe sans cesse de la comédie à la satire de la réalité. Mais le film est mené de bout en bout par cet acteur principal, on peut même dire essentiel. Et si c’est le réalisateur qui a été primé, c’est certainement à cause de ce va et vient incessant entre visions oniriques et descriptions cyniques, de la Dolce Vita au Roma de Fellini.
Viva la Libertà reprend l’équation en inversant les proportions, ce ne sont plus les intellectuels sur fond d’engagement politique, ce sont les acteurs politiques au premier plan avec l’irruption d’un écrivain et philosophe qui va bouleverser toute la scène politique, faisant passer un parti d’opposition à bout de souffle (où l’on reconnaît facilement le PCI reconverti en PD) au champion inattendu des sondages.
Je ne raconterai pas ici la trame, on suit l’action et ses multiples rebondissements sans un instant de longueur, avec des moments aussi savoureux que la visite du jumeau à la chancelière (on présume allemande) qui transforme l’entretien prévu en tête à tête en un tango langoureux. Mais je veux simplement saluer la prouesse de Toni Servillo qui joue les deux personnages principaux, le secrétaire général vieillissant d’un parti usé et qui sombre dans la dépression, et son frère philosophe qu’on va chercher dans sa maison de repos et qui va mettre son grain de folie raisonnée en prenant provisoirement la place de son frère. Il est remarquablement accompagné par Valerio Mastandreo – qui joue son assistant – et par Valeria Bruni Tedeschi – laquelle joue son amour de jeunesse – mais reste de bout en bout le personnage principal.
Identiques et différents, les deux frères s’alternent à l’écran et le jumeau présumé fou éprouve un plaisir jubilatoire à faire sauter l’édifice conformiste. S’il n’y a pas de jumeaux dans la politiques italienne, ni sans doute de frères engagés ensemble dans la politique depuis les frères Rosselli dans l’immédiat après-guerre, on a bien vu des cas d’irrationalité absolue dans l’histoire politique récente, pas besoin de citer des exemples. Et on a vu aussi une solide tradition d’irruption de gens du spectacle dans la politique comme expression ultime de la Commedia dell’arte, de Guglielmo Giannini et son Movimento dell’Uomo qualunque à Beppe Grillo e son Movimento Cinque stelle, en passant par les Girotondi de Nanni Moretti.
Mais l’interpénétration de la politique et du spectacle a surtout suscité une très riche tradition de cinéma engagé et critique jusqu’à la férocité. Certains des films de Nanni Moretti, dont le Porteur de Serviette ou le Caïman, la critique féroce de Giulio Andreotti dans Il Divo, également de Paolo Sorrentino, ont contribué à leur façon à l’évolution de l’opinion italienne.
Bien entendu Toni Servillo est un acteur, certainement pas un homme politique. Mais il a une place de choix dans ce cinéma décomplexé qui met en cause le jeu politique, toutes tendances confondues. Le voir réussir aussi brillamment dans des rôles aussi différents est en tous cas la confirmation d’un grand talent, à découvrir pour ceux qui ne l’ont pas encore fait.
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