Un peu oubliés dans l’histoire officielle, les 177 Français du commando Kieffer qui ont participé au débarquement du 6 juin 1944 reçoivent enfin l’hommage qu’ils méritent, pas seulement parce que les survivants seront honorés à Ouistreham le 6 juin prochain, mais parce qu’ils font l’objet d’une double publication qui leur est entièrement consacrée, “Le Commando Kieffer – les 177 Français du D-Day” du journaliste et écrivain spécialisé Jean-Marc Tanguy, et “Les 177 Français du Jour J” de l’historien Stéphane Simonnet.
Tous deux réalisés avec le soutien de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) du ministère de la Défense, ces deux ouvrages proposent une approche différent, donc complémentaire, de cet épisode qui a permis à la France de participer à l’écriture de cette page de son Histoire que fut le débarquement de Normandie : les 177 Français ont surtout pesé lourd par le symbole, placés par les Britanniques en première vague du débarquement, alors qu’ils n’étaient qu’une poignée au milieu des 133.000 Anglo-Américains (et d’autres nationalités) engagés sur les plages de Normandie.
“Le Commando Kieffer – les 177 Français du D-Day”
Véritable reportage effectué sur les lieux de leurs entraînements en Angleterre et en Ecosse, commencé sur place il y a dix ans, le récit de Jean-Marc Tanguy est une enquête vivante et dense (192 pages) qui croise témoignages des survivants – revus plusieurs fois pour certains depuis 2004 – interviews et documents inédits, y compris des archives personnelles recueillies auprès des familles de ces commandos français.
Spécialiste des opérations spéciales et des forces spéciales, auxquelles il a déjà consacré plusieurs livres, J.-M. Tanguy introduit son ouvrage par un chapitre présentant l’apparition du combat commando, technique apprise de leurs adversaires afrikaaners par les Britanniques pendant la guerre des Boers, reprise et élaborée par Dudlkey Clark au début de la deuxième guerre mondiale. Côté français, c’est l’héritage des “corps francs” et la volonté d’un simple matelot secrétaire du chiffre enrôlé en 1939 à l’âge de 40 ans, Philippe Kieffer.
L’élément déclencheur de l’enquête de Jean-Marc Tanguy a été un voyage organisé en 2004 par l’amiral Prazuck, alors capitaine de vaisseau commandant le Sirpa Marine, avec quelques anciens du Commando Kieffer, au centre d’entraînement commando d’Achnacarry en Ecosse (ci-dessous photos J-M.Tanguy, à gauche devant le monument aux commandos “United we conquer” à Achnacarry, à droite les figurants du film consacré au Commando Kieffer avec René Rossey, en octobre 2003 à Pegasus Bridge).
Cette rencontre avec les anciens est aussi le fil conducteur qui permet à l’auteur, en bon photo-reporter, de mettre en contrepoint les photos d’époque des commandos et des portraits des survivants sur les lieux de leurs entraînements et de leurs combats, et même au cimetière d’Hermanville pour le salut à leurs camarades disparus. Certains posent en famille, comme Francis Guézennec à Riva Bella avec ses enfants et petits-enfants, ou Léon Gautier avec son petit-fils Gérard, lui aussi commando de Marine.
Une approche finalement intimiste, qui donne à l’épopée la dimension d’un album de famille et montre la réalité de ces soldats qui ne se voyaient pas comme des héros car, comme le dit Albert Le Rigoleur : “on avait un boulot à faire et l’a fait parce qu’il fallait le faire”. Tanguy sait enfin faire le lien avec les héritiers du 1er Bataillon de fusiliers marins commandos, les commandos de marine et leur participation aux combats de la France depuis 1947, jusqu’à la création d’une unité de commandos portant leur nom en 2008, le commando Kieffer.
“Les 177 Français du Jour J”
D’une approche plus classique, le livre de Stéphane Simonnet est la version grand public d’une thèse de doctorat consacrée à l’épopée des Kieffer, qui lui a déjà permis de publier plusieurs ouvrages dont un l’année dernière sur le personnage du commandant Kieffer (“Commandant Kieffer, le Français du Jour J” – Tallandier, 2012).
Une enquête commencée en 2001 entre l’université de Caen, le musée du Mémorial de Caen et la rencontre des survivants. Ce bel album photo de 128 pages présente un découpage chronologique, depuis le recrutement des volontaires parmi les Français libres arrivant à Londres, leur sélection rigoureuse et leur entraînement impitoyable, jusqu’au récit des premières opérations atypiques de cette nouvelle forme de guerre qu’est l’action des commandos, enfin le débarquement du 6 juin, la bataille de Normandie et les dernières campagnes des commandos de la France libre jusqu’à la fin de la guerre. Il cite lui aussi le point de repère incontournable qu’est Léon Gautier, qu’il a longuement et plusieurs fois interrogé dans le cadre de son étude, et réussit à faire parler 29 témoins. Par devoir de mémoire, il situe pour chaque opération le nombre de morts, disparus et blessés, avec leur nom et le témoignage, de leurs camarades de combat. L’essentiel est la mise en séquence des archives photo et documents historiques, agrémentés de cartes et de plans pour expliquer les opérations, qui en font un ouvrage accessible au grand public pour comprendre la genèse des commandos français. En épilogue, le livre de Simonnet raconte et décrit en photos le défilé de Kieffer et de ses hommes le 14 juillet 1945 à Paris, de la Concorde à l’Arc de Triomphe.
La sortie simultanée de ces deux ouvrages sur le même sujet n’est pas fortuite, elle est liée au 70e anniversaire du débarquement de Normandie qui verra réunis à Ouistreham des dizaines de chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant participé au D-Day, ainsi que de centaines d’anciens combattants dont une majorité de “Veterans” anglo-américains, et ce sera sans doute la dernière décennie qu’ils célèbreront tous ensemble. Jean-Marc Tanguy m’a dit qu’il considérait positive cette abondance de livres, s’ils permettent aux anciens du commando Kieffer d’être enfin reconnus à leur juste place. Une pédagogie déjà commencée avec une BD de Marcel Uderzo publiée en 2012 aux Editions du Triomphe, et qui sera enrichie par le film de Cédric Condon, le petit-fils de René Rossey : “Les Français du Jour J”. Ce film documentaire a été écrit par Jean-Yves Le Naour avec la participation de Stéphane Simonnet, produit par Emmanuel Migeot et sera diffusé sur France 3 dans les prochains semaines, en tous cas en coïncidence avec le 6 juin.
Le Commando Kieffer, les 177 Français du D-Day – Jean-Marc Tanguy, 192 pages, Albin Michel
Les 177 Français du Jour J - Stéphane Simonnet, 128 pages, Tallandier.