Gabriel Garcia Marquez n'est plus là pour démentir tous ces panégyriques qui en font un notable de la littérature, perché sur un piédestal de notoriété tout en entretenant des relations coupables avec le stalinisme cubain - que de clichés dans ces portraits de celui qu'on résume à la formule lapidaire (c'est le cas pour une épitaphe) de prix Nobel de la littérature !
Rebelle éternel, chantre d'un humanisme sans compromission avec toute idéologie, Garcia Marquez a certes été l'ami personnel de Fidel Castro pendant plus d'un demi-siècle, il a admiré à une certaine époqque le romantisme de Che Guevara ; mais pour autant il n'a jamais été ce qu'on appelle un stalinien, s'est toujours battu pour les droits de l'homme y compris à Cuba et, avec son humour au cinquième degré, on peut se demander si "L'automne du patriarche" ne s'appliquait pas dans son esprit à tous les autocrates des Caraïbes... sans exception.
Je ne suis pas Garciologue, et ne l'ai jamais étudié comme on le fait quand on lit systématiquement toutes les oeuvres d'un écrivain. Mais j'ai découvert la face cachée de la langue espagnole à travers Cent ans de solitude, quand le dictionnaire s'avérait impuissant à résoudre les néologismes baroques qui foisonnent dans son language, une écriture libre de toute contrainte, et qu'on ne peut découvrir le sens de ces expressions fleuries qu'en écoutant le reste, en devinant comme un enfant qui apprend à parler.
Dans sa galerie de personnages, j'ai adoré Erendira de "L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mèrte diabolique", j'ai senti l'épaisseur humaine de ce colonel retraité et solitaire ("El coronel no tiene quien le escriba"), et j'ai picoré dans cette oeuvre multiforme en l'abordant comme il faut, sans esprit de chronologie, mais en reconnaissant chaque fois un peu plus les paysages, saveurs et odeurs d'une Colombie familière où je n'ai encore jamais été, entre lieux réels et imaginaires, les Illiers et Combray que sont Barranquilla et Macundo.
Mais la découverte la plus étonnante, je l'ai faite il y a deux ans, en retrouvant l'un des premiers récits de Garcia Marquez, qui fait le tournant entre sa première carrière de journaliste et celle de l'écrivain : correspondant d'El Espectador, il avait réalisé en 1955 plusieurs interviews du seul survivant d'un équipage de huit colombiens embarqués sur une unité de la marine colombienne. Ses intervews avaient fait scandale car, contrairement à la version officielle d'une tempête qui avait causé la mort de l'équipage, le journaliste avait raconté, citant le seul survivant, que la catastrophe n'avait pas été la tempête mais le fait qu'une cargaison illégale d'électro-ménagers, déséquilibrée par la houle, avait poussé les marins à la mer.
L'épisode polémique, prouvant l'indépendance d'esprit du journaliste, avait valu à Gabriel Garcia Marquez des menaces suffisantes pour qu'il parte en Europe, mais avec le sentiment qu'il tenait une histoire incroyable, car au-delà des circonstances du naufrage c'est la lutte pour la survie du marin rescapé, resté onze jours sans mùanger et sans boire, brûlé le jour et glacé la nuit, ballotté entre espoir et désespoir, qui est en soi une fantastique épopée. Il la racontera en 1970 dans un petit ouvrage, "Relato de un naufrago", où le marin survivant, hospitalisé après avoir été sauvé et que les autorités essaient de faire passer pour fou car il met en cause la version officielle, explique : "mon héroïsme a consisté à ne pas me laisser mourir".
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