Symbole de la liberté apportée par La Fayette aux Américains, la frégate Hermione qui l’amena à Boston avec ses troupes en mars 1780 et qui se fracassa sur banc rocheux en Bretagne en 1793 existe à nouveau et s’apprête à refaire à l’automne prochain une traversée jusqu’à Boston : son équipage s’entraîne pour l’instant à hisser les voiles, ce qui se fait à la force des bras et sans aucune assistance mécanique.
Cette résurrection d’un navire disparu, partie d’un rêve de l’association Hermione-La Fayette en 1997, à la veille de l’an 2000, s’est faite réalité après des années d’un travail patient, tenace, méthodique et faisant appel à toutes les techniques de l’époque. L’arsenal construit par Colbert à Rochefort, dans l’estuaire de la Charente, a repris du service, l’Hermione flotte aujourd’hui dans le radoub “Napoléon III” et fera cet été ses premières sorties en mer.
La première aventure est d’abord la genèse de cette construction, car il ne restait plus de plans de L’Hermione, sauf un relevé du tracé de coque, au Service historique de la défense (SHD) à Vincennes, et une coupe verticale, aux archives de Rochefort ; heureusement, les Britanniques qui avaient capturé la sister ship de L’Hermione, La Concorde, en avaient fait un plan relevé qui a été bien utile. Le premier travail a donc été, sur ces nouveaux plans, de faire une maquette de travail : celle-ci a été réalisée en bois de chêne par le modéliste Jean Thomas, décédé en 2010, qui a été un des pionniers de l’aventure. Sa maquette a permis aux architectes et charpentiers d’anticiper les problèmes de réalisation du modèle réel.
Toute la fabrication a été faite selon les techniques et avec les outils de l’époque. La ferronnerie a été produite à la forge, les gréements entièrement faits avec du chanvre selon les techniques jalousement conservées dans la corderie royale de Rochefort, les poulies fabriquées en bois, les voiles également faites et cousues à la main. Ce sont 400.000 pièces de bois et de métal qu’il a fallu ajuster pour assembler le bateau.
Les canons en bronze étaient 26 canons de 12 livres et six canons de six livres, soit 36 pièces au total. Ils ont été refaits en bois mais à l’identique et sont progressivement installés sur le navire, chacun à son sabord.
Statues décoratives, frises et figure de proue en bois, un lion, ont été sculptés avec les mêmes instruments, puis peints et certaines parties dorées à la feuille. Le fait que le chantier soit à l’air libre fait que l’ensemble, superstructures en bois et décorations, porte déjà la patine des embruns, du soleil et de la pluie, ce qui renforce encore l’authenticité de L’Hermione.
Long de 44 mètres, large de onze, le trois-mats porte une voilure de 2.200 mètres carrés (à elle seule, la grand voile fait 270 m2, et la voile de grand perroquet 96 m2) et déplace 1082 tonneaux. Son tirant d’eau reste modeste pour un bateau de ce gabarit, soit moins de cinq mètres, alors que son tirant d’air, la partie émergée, dépasse 47 mètres, le sommet du grand-mât (qui fait au total 56,5 m).
Tout est désormais en place, sauf les derniers canons, mais les gréements sont complets et le travail des voiles peut se faire librement ; il est d’autant plus important que, s’il se fait à l’intérieur du radoub aujourd’hui, il devra se faire demain dans la houle de haute mer et la précision de chaque geste comptera pour la sécurité. A la Corderie voisine, un moniteur bénévole explique la technique des nœuds et fait une démonstration aux plus jeunes : faire un nœud n’a l’air de rien, savoir le faire d’une seule main quand l’autre se cramponne, à trente mètres de hauteur, demande entraînement, calme et dextérité…
La barre à double roue est en place, on vérifie et resserre les haubans, partout l'équipage s'active pour les dernières vérifications avant l'entrée en service du navire.
Vu d'en bas, l'alignement du mat d'artimon, du grand mat et du mat de misaine est impressionnant, avec, incliné à l'avant, le mat de beaupré.
Une à une, les voiles sont hissées, sur ordre donné à la voix. C'est la marine à l'ancienne qui revit et qu'on réapprend, avec sa logique et son efficacité car, il faut le redire, l'entraînement en eaux calmes est vital pour la sécurité des manoeuvres une fois que le navire sera en mer et que les vents forciront : aucune place ne sera laissée à l'hésitation ou l'indécision, on le voit à l'énergie déployée à Rochefort par ce jeune équipage de garçons et cde filles qui se préparent au grand départ.
Il ne manque pas un palan pour régler la tension du gréement, malgré les techniques anciennes l'ensemble donne une réconfortante sensation de solidité. Les accomodements avec la modernité imposés par les exigences de sécurité maritime resteront invisibles ou presque : motorisation pour permettre au bateau de manoeuvrer, instruments de transmission et de navigation. Mais L'Hermione restera bien un bateau à voiles avec un équipage travaillant à la force des bras et des poignets, et nulle odeur de mazout n'est perceptible : L'Hermione sent bon l'odeur du bois et, un peu moins agréable, l'odeur de goudron du calfatage...
Les jeunes volontaires qui armeront L’Hermione pour son voyage à Boston amèneront aux Etats-Unis le navire sur lequel s’était réuni le jeune Congrès américain en 1781. Leur visite suivra de quelques mois celle des vétérans américains du débarquement du 6 juin 1944, attendus nombreux sur les plages de Normandie pour le 70e anniversaire. Un double symbole de la solidarité de la France et des Etats-Unis dans leurs combats respectifs pour l’indépendance.
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