L’exposition présentée au Louvre des collections du futur “Louvre Abou Dhabi” mérite d’être visitée, ne serait-ce que pour dissiper bien des malentendus inutiles sur “ces œuvres qui vont s’exiler à Abou Dhabi”, comme on le lit curieusement dans certains articles de presse, alors qu’il s’agit d’œuvres achetées sur le marché mondial pour le compte des Emiratis et aucunement de collections actuelles du Louvre.
Le projet bénéficie d’un soutien important de la France puisque François Hollande a parlé mardi, en inaugurant l’exposition, du «plus grand projet culturel de la France à l'étranger». De fait, ces 160 œuvres qui appartiennent au patrimoine émirati seront complétées, pour l’inauguration en décembre 2015 du musée à Abou Dhabi, de quelque 300 œuvres prêtés par les musées français.
Le premier succès constaté, c’est que le Louvre est effectivement un concept universel et que, si la richesse des collections parisiennes fait que, en raison de leur importance, elles sont présentées par sections géographiques et historiques clairement séparées, elles donnent un aperçu de la culture universelle. Le Louvre d’Abou Dhabi, dont la patrimoine est tout juste naissant, n’a d’autre choix que de juxtaposer des œuvres de cultures et d’époques totalement différentes, ce qui évidemment peut choquer le traditionnaliste, peu habitué à voir cohabiter des Christs avec des Bouddhas et des divinités africaines (ci dessus, Shiva en bronze du 12e siècle de l’Inde du sud, et Christ en bois polychrome du 16e siècle, Allemagne du sud, © Thierry Olivier). Mais certains critiques d’art, qui parlent de “sélection hétéroclite”, sont plus soucieux de leur érudition que de pédagogie destinée à des non spécialistes, à moins que la juxtaposition de religions différentes ne soit le motif de leur agacement – au moins peut-on rendre hommage à l’ouverture de ce pays musulman qui expose les représentations figuratives de toutes les religions.
Le second succès est, précisément, la richesse d’une collection constituée en quelques années seulement, et dont il faut souligner qu’elle a été payée par les autorités émiraties. Faut-il rappeler à ceux qui critiquent soit le montant des achats, soit le mauvais emploi des fonds, qu’Abou Dhabi n’a pas eu, contrairement au Louvre, la faculté de piller les richesses du monde à coups de chevauchées et de conquêtes militaires comme l’ont fait les souverains français au cours des siècles ?
La troisième réussite, c'est l’éclectisme d’une collection qui part de l’antiquité (splendide statue de princesse de Bactriane, 2.000 avant JC – © Louvre Abou Dhabi Thierry Olivier) et arrive à l’art contemporain (partie la plus décevante, mais le marché est ce qu’il est) en traversant les continents (le continent américain un peu absent, sauf un masque de l’Alaska : rien sur les cultures amérindiennes ni sur l’art moderne américain, sauf erreur.
Et cet autre point très appréciable en termes de pédagogie, la recherche des correspondances, peu fréquente dans les très grands musées où tout est sectorisé – avec une mention à part pour le Gulbenkian de Lisbonne : les influences croisées de l’art chinois, de l’art mogol et indien, de l’art perse et de l’art européen, à travers notamment la porte d’entrée de l’occident (ou de sortie vers l’orient) qu’était Venise.
Il faut souligner à ce sujet que le Louvre d’Abou Dhabi est partenaire non seulement du Louvre, mais de plusieurs grands musées dont la BNF et la Manufacture de Sèvres, ce qui lui permet de bénéficier d’une expertise encore plus large. La partie la plus moderne n’est pas la plus riche, un beau Caillebotte (ci-contre), un Picasso décevant, un Magritte intéressant, peu de contemporains de valeur – il faudra qu’ils découvrent la peinture contemporaine chinoise, encore accessible…
Enfin la dernière force de ce musée d’Abou Dhabi, qui n’est ici que suggérée à travers la lumineuse maquette du projet de Jean Nouvel, c’est qu’il s’articule autour d’une muséographie entièrement nouvelle, ce qui est prometteur si on pense à ce qui a été fait à Doha avec le musée d’art islamique du Qatar où tout est conçu en fonction de la valorisation des œuvres et objets présentés. Le Louvre d’Abou Dhabi est lui aussi une création entre ciel et eau, où beaucoup se jouera dans les lumières et les reflets.
Par contraste, c’est le Louvre parisien qui prendra un coup de vieux, avec ses enfilades de salles traditionnelles – comme la plupart des grands musées traditionnels en Occident – où les œuvres sont très inégalement valorisées, pour ne pas dire qu’elles sont parfois “sous-exposées”…
La première collection de ce musée en train de naître, déjà présentée l’année dernière sur l’île Saadiyah à Abou Dhabi (ci-dessus à gauche, photo © WAM; à droite, photo Atelier Jean Nouvel) suscite en tous cas une fierté légitime des Abou Dhabiens, qui offrent une fabuleuse vitrine sur le patrimoine artistique mondial non seulement à leur pays mais aux visiteurs du monde entier : grâce notamment au “hub” de Dubaï et à la vitalité des compagnies aériennes émiraties, les EAU sont devenus une plaque tournante du tourisme mondial entre Asie, Afrique et Europe. Mais l’œuvre préférée des Emiratis est sans conteste cette peinture représentant Osmane Hamdi Bey, “jeune émir à l’étude”, dans lequel ils reconnaissent le symbole d’un pays jeune épris de culture (photo en haut, © Louvre Abou Dhabi / Agence F).
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