L’Astor House Hotel, situé au-delà du pont métallique qui termine le Bund, est l’hôtel le plus ancien à Shanghaï et sans doute en Chine, puisque sa première construction remonte à 1846, lorsqu’un homme d’affaires britannique, Richards, l’édifia à proximité du nouveau port commercial ouvert grâce aux "traités inégaux" établissant des concessions occidentales dans la ville. Son histoire est donc intimement liée à l’histoire de la ville et aux péripéties traversées par la Chine depuis cette époque.
Pour ceux qui ont aimé l’hôtel Baron à Alep (construit au début du 20e siècle), sans doute aujourd’hui un peu abandonné dans cette ville en guerre, l’hôtel Old Cataract à Assouan (construit en 1899) ou le Winter palace à Louxor (en 1886), le Richards’ Hotel, devenu l’Astor House Hotel en 1857, est l’hôtel le plus romantique et le plus authentiquement désuet avec ses vieux vitraux, ses odeurs de vieux bois et ses parquets qui grincent – même s’il est en permanente restauration.
Ci-dessous l’hôtel à gauche, la Légation russe juste à côté et le Garden Bridge.
Il est en tous cas le compromis parfait pour ceux qui veulent un confort occidental sans payer le luxe des vertigineux palaces en verre qu’on a pu voir pousser à Pudong, sur la rive oppose du Wangpu. Et sa position à l’entrée du Bund, car il suffit de traverser le Garden Bridge pour y arriver en cinq minutes, est également un privilège car elle évite de se trouver coincé dans la foule et la circulation qui envahissent le Bund presque en permanence. Autre privilège, en prenant vers l’autre côté en sortant de l’hôtel, on rejoint une terrasse surélevée avec une enfilade de restaurants qui donnent sur le Wangpu, ce qu’on ne trouve pas sur le Bund.
Ci-dessous, le Garden Bridge n’a pas changé non plus.
Déjà visité il y a huit ans, cet hôtel n’a évidemment pas changé sauf la Wi-Fi, avec les mêmes odeurs un peu vieillottes et ses cartels au mur, comme dans un musée, expliquant que dans telle chambre a dormi le spécialiste de la Chine Edgard Snow en 1931, telle autre le philosophe Bertrand Russel en 1920, ou le scientifique Albert Einstein en 1922.
Comment et pourquoi cet hôtel est-il devenu plus historique qu’un autre à Shanghaï ? D’abord parce que la famille Richards en a fait dès le départ un établissement pionnier. C’est devant l’hôtel qu’a été inaugurée, en juillet 1882, la première installation électrique du pays, avec des réverbères, une scène immortalisée par un grand tableau (ci-dessus à droite ; à gauche, la chambre du président Grant).
En 1906-1907, le Britannique fait raser l’immeuble de trois étages pour construire l’édifice actuel, six niveaux en ciment, brique et bois en style néo-classique victorien, avec des boiseries partout et des vitraux dans certaines cages d’escalier, un patio intérieur sur deux étages, des salles de réunion, plusieurs bars et fumoirs, une salle de billard et un immense hall qui sert encore aujourd’hui de salle à manger, de salle de bal et de salle pour banquets de mariage.
Toujours novateur, Richards organise le 9 juin 1908, dans les jardins de l’hôtel et sur un écran de drap, la première projection en Chine d’un film, le cinématographe qu’on appelle alors “le théâtre électrique parisien”. Ce n’est donc pas un hasard total si Charlie Chaplin y est venu séjourner à deux reprises, en 1931 et en 1936.
Même si l’historiographie de l’hôtel est discrète sur les soubresauts qui vont marquer la ville avec l’occupation japonaise, la guerre mondiale, la guerre de libération et la victoire du communisme en 1949, elle mentionne le passage de l’impératrice Cixi (Tseu-hi), du président américain Grant en 1879, et de Zhou Enlai (Chou en-Laï) en 1927.
La visite de ce dernier vaut d’être rapportée, puisque ce militant communiste, menacé par la répression du gouvernement Tchang Kai Tchek après le soulèvement ouvrier de Shanghaï en mars 1927, va se cacher quelques semaines dans cet hôtel avec une autre militante politique qui deviendra sa femme, Deng Yin chao, “déguisés en riche pour passer inaperçu au milieu de la clientèle fortunée, et sans jamais sortir de l’hôtel” comme il le racontera plus tard. Plus qu’un symbole, l’hôtel semble lui-même se cacher derrière la légation d’URSS, redevenue aujourd’hui le consulat de Russie.
Dernière participation de cet hôtel à l’histoire, la création très symbolique, le 19 décembre 1990, de la première Bourse des valeurs en république populaire de Chine, avec la visite cette fois tout-à-fait officielle des principaux dirigeants communistes.
Le personnel toujours souriant se prête de bonne grâce au jeu de la visite des chambres les plus remarquables, quand elles ne sont pas occupées, et on peut découvrir, ou réserver si on a de la chance, des suites aux proportions phénoménales qui donnent sur l’angle qui surplombe le Garden Bridge. Quant aux autres, loin d’être petites, elles sont décorées avec goût avec boiseries et abat-jours classique, à l’exception de l’affreux tableau représentant le Moulin rouge qui trône dans la nôtre – mais pour les Chinois tout ce qui est français est forcément romantique.
C’est en tous cas l’image qu’ont de l’hôtel les Shanghaïens, puisque les mariages se succèdent sans discontinuer, avant la traditionnelle photo des jeunes mariés sur le Garden Bridge où sur le Bund.
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