Des bancs de l’école militaire préparatoire d’Autun à l’école spéciale militaire de saint-Cyr et aux champs de bataille d’Afrique et d’ailleurs, le général Jean-René Bachelet nous emmène sur les pas d’un “Enfant de troupe” qui est son camarade, son ami ou son double, dans un récit qui tient autant au roman qu’au récit autobiographique, même si leurs chemins se quittent un peu tragiquement puisque, comme l’écrit son copain dans son journal intime, “je me suis fait soldat pour mourir à vingt ans”.
La trame, ce sont les cahiers d’une enfance d’après-guerre encore imprégnée de Résistance et d’une adolescence qui traverse les années cinquante, la fin de la IVe république avec les secousses de la décolonisation, cahiers retrouvés longtemps après et que l’auteur feuillette et commente avec une immense “nostalgie”, le titre bien adapté de la collection dans laquelle est publié ce livre.
Nostalgie d’une enfance un peu rude à la campagne d’avant la télévision, vie simple et gens austères, la figure d’une bonne sœur, sœur Clotilde, d’un instituteur, Monsieur Joanne, le temps immuable, figé par la mort d’un père, l’arrivée à l’école des enfants de troupe, caserne avant l’heure : les enfants de troupe y découvrent l’uniforme, les rigueurs de la discipline militaire mais aussi les valeurs de dépassement de soi qui tracent un destin.
Engagements d’une jeune épris d’idéal, la trace profonde de la promesse scoute (sur mon honneur, avec la grâce de Dieu…”), le croisement de cet idéal avec le retour du Général De Gaulle en 1958 et son mépris des politiciens opportunistes, le regard posé sur les gens est bien un regard d’adolescent, fiévreux et sans complaisance.
Quelques rencontres étonnantes, comme les Eurasiens, fils naturels de mères vietnamiennes et de militaires français, rapatriés en France et coupés de leurs racines, rendus de facto orphelins par la République – le même drame récemment découvert chez Françoise Cloarec avec son dernier roman “De père légalement inconnu”.
Pupille de la nation lui aussi, Jean-René Bachelet déroule les pas du collégien qu’il a été lui-même, tant on reconnaît le propre cheminement d’un officier épris de pureté et d’idéal, même si son héros choisira les troupes de marine en rêvant d’escadrons blancs alors que lui-même a choisi les chasseurs alpins, à force de toujours regarder vers le haut, dans une élévation qui fera de lui beaucoup plus tard l’auteur de pages précieuses sur l’éthique du soldat.
Avec sa modestie habituelle, il complète son récit d’un glossaire qui va d'Abdel Kader et des accords d’Evian au you-you des femmes arabes et au Z des corniches car, en s’adressant aux jeunes générations, dont ses petits-enfants auxquels le livre est dédicacé, il explique que certaines notions ou expressions “sont véritablement ceux d’un temps révolu et d’un monde à jamais disparu” – d’où le sous-tire “la fin d’un monde”.
A-t-il vraiment disparu à ce point, ce temps où la vie des enfants et des collégiens était coupée du reste du monde, où l’on découvrait le tabac à quinze ans et l’on conservait très tard une ingénuité que l’on prendrait aujourd’hui pour de la naïveté ? C’est ici le côté nostalgie, avec comme madeleine de Proust l’encre et la craie de l’école, l’instituteur attentif et sa mégère de femme, les feux du camp scout, les premiers regards entre garçons et filles…
Le livre se lit d’un trait, léger dans son écriture, élevé dans ses pensées. On suit le héros sans savoir si on y croit complètement, mais l’intérêt n’est pas là. Il est dans le regard d’un officier qui croit aux valeurs éternelles, un regard qui n’a rien perdu de son actualité, quelles que soient ses inquiétudes : s’ils n’ont pas connu le tableau noir et la craie, l’encrier et la plume sergent major, les jeunes officiers d’aujourd’hui, passés par la Gameboy et la tablette électronique, gardent pourtant le même engagement et le même appel qui peut aller jusqu’à risquer sa santé et sa vie pour une cause supérieure. La relève est assurée.
Jean-René Bachelet, "Enfant de troupe - La fin d'un monde". 240 pages, La Fontaine de Siloé - Nostalgie.
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