Caché au sous-sol d’un immeuble moderne, le musée de l’affiche de propagande de Shanghaï vaut une visite approfondie car, grâce à la ténacité d’un collectionneur privé, Yang Pei Ming, c’est plus d’un demi-siècle de l’histoire contemporaine de la Chine qui est raconté en affiches, y compris quelques originaux.
Le Shanghai Propaganda Poster Art Centre se trouve sur Huashan Lu, dans un quartier résidentiel. A l’entrée de la résidence, un gardien vous donne un petit plan pour trouver l’entrée, car il faut contourner trois immeubles, tourner deux fois à gauche et trouver une entrée très discrète, avant de descendre au sous-sol et d’enfin découvrir la caverne d’Ali Baba.
Le musée en soi n’est pas immense, quatre pièces principales, mais les murs sont tapissés de posters et de banderoles, y compris les fameux Dazibao peints à la main par les gardes rouges pendant la révolution culturelle (1966-76). L’ordre est partiellement chronologique, avec parfois des retours en arrière pour des raisons de place, mais l’histoire peut se suivre en parcourant le temps, et en remontant au passé d’avant la révolution de 1949.
Le passé, ce sont les affiches qui faisaient autrefois la célébrité de Shanghaï, affiches de publicité ou illustrations de charme montrant de jolies jeunes femmes en robe : ce sont les mêmes artistes qui, après la révolution, seront l’une des sources d’inspiration des posters révolutionnaires, avec d’autres sources, plus paysannes ou idéologiques.
Dès 1949-50, avec la victoire des communistes et l’instauration d’un gouvernement révolutionnaire, ce sont des affiches montrant des manifestations de masse avec débauche de drapeaux rouges, place Tiananmen à Pékin ou sur le Bund à Shanghaï. Très parlante (ci-dessus), la parade des masses révolutionnaires, ouvriers, paysans et militaires ensemble, défilant devant les sièges des banques le long du Bund, symbole à la fois du colonialisme occidental et du capitalisme en général. Mais l’ambiance y est surtout festive.
Puis la thématique des affiches se durcit : soutien à la Corée du nord attaquée par l’impérialisme américain, révolution industrielle sur le modèle russe, posters montrant Mao à côté de Staline (1952), poster à la gloire de l’amitié sino-soviétique (1959) même si, entretemps, c’est Nikita Khrouchtchev qui a remplacé Staline sur les affiches à côté de Mao. Côté dessin, l’inspiration est celle du réalisme socialiste, jeunes hommes musclés, russe et chinois côté à côte, la même mâchoire carrée et le même regard triomphant.
De 1957 à 1962 la thématique est le Grand bond en avant, Yue Jin, avec un dragon qui représente la puissance émergente de la Chine. Ci-dessous à gauche, un poster de 1956, “Luttons pour réaliser le plan quinquennal”. Beaucoup d’affiches pédagogiques destinées à éduquer le peuple sur les valeurs du socialisme, sans exclure le lyrisme : ci-desous à droite poster de 1960 (fragment) : "écrire des poèmes dans le ciel". Le militaire garde une place centrale, avec le soldat prolétaire Lei Feng pour incarner la vertu du révolutionnaire.
On est alors en pleine guerre froide, avec les guerres de décolonisation sur plusieurs continents. Le bloc socialiste est sans faille, la Chine se voit au cœur du dispositif anti-impérialiste. Beau poster de 1962 pour le soutien à la révolution cubaine, avec un étonnant Fidel Castro. Plusieurs affiches célèbrent la nationalisation du canal de Suez par Nasser, dès 1956, et appellent les colonialistes à “rentrer chez eux” en dénonçant l’agression colonialiste franco-britannique. D’autres affiches célèbrent la lutte contre le colonialisme et le racisme.
L’inspiration est encore, souvent, celle de la liesse populaire d’après la révolution, comme cette scène de fête à Shanghaï en 1963 avec le Bund illuminé et pavoisé, où le style du dessin reste traditionnel et rappelle les estampes chinoises plus anciennes.
Le ton se durcit avec la guerre du Vietnam. C’est le durcissement de la guerre froide, la conscience aussi que l’agression impérialiste est géographiquement toute proche. Inspiration intéressante, dans une affiche de 1966 de Ha Qiongwen qui appelle à soutenir l’opinion publique américaine dans sa résistance à ses dirigeants impérialistes, et le slogan : “stop Johnson’s war – get out of Vietnam”.
Mais 1966 c’est aussi le démarrage de la “Grande révolution culturelle prolétarienne”, la mise à l’écart des barons du parti et l’irruption des jeunes, mobilisés par le Grand Timonier pour bousculer l’inertie des cadres dirigeants et “remettre la révolution en marche”. Le ton se durcit de plus en plus, le graphisme aussi, sous l’influence des Dazibao, les journaux muraux collés partout par les étudiants.
En 1967 la Chine devient une puissance nucléaire, preuve s’il en faut que la révolution culturelle n’a pas désorganisé l’Etat, le parti et l’APL. Une affiche célèbre “our first nuclear bomb” et condamne “l’impérialisme, le révisionnisme et les réactionnaires”.
En 1968, les affiches de mao sont vendues dans la Sorbonne occupée par les étudiants en grève à Paris ; en Chine, Mao occupe la scène officielle, y compris artistique : “en avant victorieux dans la ligne révolutionnaire en art et littérature”. Autre poster intéressant de 1968 à la gloire de Jian Qing, l’épouse de Mao, qui profite de ce grand bouleversement pour se mettre en avant sur la scène politique et se faire le porte-parole de Mao, version gauchiste. C’est aussi le moment où le régime prend ses distances avec le grand frère soviétique, comme en témoigne un slogan de 1967 : “méfiez-vous du révisionnisme soviétique”. Une affiche de 1969 de Chen Jiang (ci-dessous) lance le slogan : “tous derrière Mao !” Une autre grande affiche de 1970 montre des étudiants massés sur un train, en train de partir éduquer les masses paysannes : “partez à la campagne, on a besoin de vous !”
C’est l’union sacrée face à l’ennemi intérieur, le révisionnisme, et à l’ennemi extérieur, l’impérialisme capitaliste et colonialiste. Des affiches de 1971 célèbrent l’union entre soldats de l’APL, ouvriers et paysans, et la communauté de pensée entre Arabes, Africains et Asiatiques. C’est l’époque de la Tricontinentale (avec l’Amérique latine), la Chine y affirme son rôle moteur : “vive la pensée marxiste-léniniste et maoïste”. Mais l’armée est omniprésente, même à l’opéra de Pékin dont “le détachement féminin rouge” avec danseuses armées de fusils (ci-dessous, 1971, fragment) devient un classique.
Encore cinq années à “éduquer les masses”, et l’élan des gardes rouges retombe, d’autant que Mao a donné mandat à l’armée populaire de libération de reprendre les choses en mains partout où la situation échappait aux autorités sous le poids et la virulence des gardes rouges. Un tournant important, l’ouverture aux Etats-Unis en 1971 avec la venue de l’équipe de ping-pong américaine invitée lors d’un championnat au Japon, qui précède la visite officielle de Richard Nixon à Pékin en 1972. Une affiche (fragment) explique que “la petite balle argentée porte l’amitié”. Mao prépare déjà “le coup d’après”, l’ouverture sur le monde qui sera réalisée par ses successeurs. 1976 c’est la fin de la révolution culturelle, qui coïncide avec la mort de Mao Zedong.
L’héritier est Hua Guofeng, confirmé par les instances du parti communiste. Les derniers soubresauts de la fièvre gauchiste sont calmés avec l’élimination de la “bande des quatre”, Wang Hong Wen, Zhang Chung Qiao, Yao Wen Yuan et Jiang Qin, la veuve de Mao. Les dénonciateurs d’hier sont traînés devant un tribunal, où ils cristallisent la rancœur accumulée par tous ceux qui ont souffert de la révolution culturelle, avec un slogan définitif sur les affiches : “Tuez la bande des quatre !” Le héros de cette dernière épuration bénéficie de la reconnaissance populaire et se place sur les traces de Mao : “suivez la marche en avant de Hua Guofeng sous la bannière de Mao”. Le nouveau régime appuie sa légitimité par un culte rendu à Mao : “c’est la volonté du peuple par millions d’édifier un mausolée à Mao”.
Le tournant, c’est aussi l’ouverture vers la modernité avec le contrôle des naissances (1974 : poster pour “un seul enfant”), puis le bien-être d’une population qui a vécu des décennies difficiles, voire dramatiques. L’ouverture économique de Deng ne sera que l’aboutissement des réformes lancées par Hua.
La collection elle-même évolue, on est loin du réalisme socialiste ou des scènes champêtres, aussi bien que des dessins violents de la révolution culturelle. Place à la modernité, au progrès économique et social, à l’ouverture sur le monde, mais aussi aux techniques graphiques empruntant davantage à la photo et à la conception assistée par ordinateur qu’au dessin traditionnel. Sans être exhaustive, la collection rassemblée ici, avec quand même quelque 5.000 pièces dont une petite partie seulement exposée, offre un témoignage très vivant de l’évolution de la Chine depuis 1949.
La visite se prolonge dans une boutique où l’on trouve non seulement des reproductions de ces posters, mais également quelques originaux, uniques par définition et d’une qualité de dessin exceptionnelle, comme ce Mao poète, debout en manteau dans son jardin enneigé à Pékin où le premiers cerisiers commencent à fleurir. Le dirigeant a une cinquantaine d’années, son visage est d’une grande finesse, le collectionneur situe ce dessin vers les années cinquante.
Si l’on n’a pas le droit de photographier les affiches et dessins exposés, la visite est possible également sur un site Internet www.shanghaipropagandaart.com très complet. Mais l’expo se déplace, elle a été récemment à Edinburgh (ci-contre) et Yang Peï Ming a reçu une sollicitation du Mucem de Marseille. A suivre, certainement !
Cette collection témoigne du tumulte politique, des idéaux révolutionnaires et des évolutions artistiques de la Chine depuis 1949. Une immersion saisissante dans un passé riche en nuances et en révolutions. Impressionnant
Rédigé par : Cafnice | 07 février 2024 à 14:23
Oui, c'est intéressant de voir que certaines formes d'art et d'artisanat marient tradition et révolution. Encore plus frappant dans les cas des figurines en céramique typiques de la révolution culturelle, qui prolongent les techniques des statuettes traditionnelles.
Rédigé par : Pierre Bayle | 13 mars 2024 à 21:33