“Moi j’habite au-delà du mur” : c’est le titre du blog tenu par le père Mario Cornioli, un prêtre italien qui depuis 2009 travaille auprès du patriarche latin de Jérusalem, anime la “maison des enfants-Jésus” de Bethléem pour les enfants handicapés, et assure le lien entre les communautés de prêtres et de religieuses en Cisjordanie et à Gaza, au service des chrétiens de Palestine mais aussi des musulmans.
Celui que les Palestiniens appellent “Abouna Mario”, notre père Mario, a décidé de témoigner ainsi à son niveau, y compris par des messages au pape François avec qui il est en contact régulier, des souffrances d’une population civile enfermée derrière ce mur, un mur dont le profil même est source de conflits – il raconte notamment les recours administratifs et judiciaires contre son tracé.
Pour ceux qui n’ont pas la chance de comprendre l’italien, j’ai fait une petite sélection de passages significatifs de son blog, parfaitement accessible à l’adresse Internet abunamario, en remontant jusqu’à août 2010. C’est une chronique des petites humiliations quotidiennes de la population palestinienne, maisons détruites, permis refusés, oliveraies confisquées, et surtout le chantier du mur qui d’élève en serpentant et sépare les villes palestiniennes de leurs campagnes. Des vexations qui atteignent aussi bien les chrétiens parmi les populations palestiniennes, comme la difficulté de faire accéder les élèves au petit séminaire de Beit Jala ou la difficile réouverture du check-point de Bethléem.
Du 24 décembre 2012, cette lettre de Noël : “cher enfant-Jésus, je t’écris pour te donner une très bonne nouvelle : si Joseph et Marie réussissent à arriver à Bethléem, s’ils réussissent à passer les check-points et à traverser le mur, s’ils n’ont pas d’autres problèmes d’autorisations, ce sera la dernière année que tu naîtras dans une grotte car l’année prochaine nous aurons terminé un nouvel étage de la maison qui accueille déjà tes petits frères et tes petites sœurs et tu pourras trouver une belle chambre chauffée et accueillante”.
29 mars 2013, Pâques. la Via Crucis a été célébrée dans l’oliveraie de Cremisan, condamnée par une décision administrative qui fait passer juste au milieu le mur de séparation entre Israël et les territoires occupés. Le post du père Marion reste plein d’espoir : “sur les côtés de la route, nos oliviers ont souffert comme nous, témoins muets et silencieux d’une retentissante injustice. Mais c’est une simple question de temps. La mort, à Jérusalem, ne dure que quelques heures… car l’aube de la résurrection, encore invisible, pointe déjà à l’horizon. La vie a déjà vaincu et vaincra encore. Joyeuses Pâques à tous !”
(…) 22 mars 2014, visite à la paroisse de Gaza. Au milieu des pannes d’électricité, les prêtres éclairent leur chemin avec la lumière de leurs portables, et rendent visite à des familles isolées, avec l’idée de leur fournir à chacune une batterie de secours pour combattre les ténèbres. “Nous savons bien qu’aider une cinquantaine de familles est une goutte dans la mer de problèmes de Gaza, mais nous savons aussi que cette aide modeste donnera lumière, espoir, force et courage à certains pour continuer à résister”. Suit un “business plan” pour faire adopter 50 familles par 50 paroisses italiennes, chacune subventionnant une batterie et son alternateur pour 425 Euros.
21 avril, Pâques. Le père Mario a passé les fêtes à aider le patriarche à Jérusalem, et n’a pas pu être avec sa communauté à Beit Jala. “mais je suis rentré à Beit Jala avec une nouvelle certitude : c’est qu’aucun mur ne pourra résister à la lumière du ressuscité qui a brisé la pierre du sépulcre, et qu’il n’aura aucun mal à faire tomber toute tentative d'enfermer par des murs la vie dans une tombe".
En mai, la visite du pape François a été pour beaucoup de chrétiens palestiniens une déception : le couvre-feu imposé pour motifs de sécurité a empêché le plus grand nombre d’entre eux à Jérusalem de s’approcher de lui, alors que ceux de Bethléem, Beit Jala et Beit Sahour ont pu l’approcher, raconte-t-il le 18 mai.
Avec l'explosion de la violence à Gaza, c’est évidemment la situation actuelle qui lui fait exprimer sa révolte : “Gaza c’est l’enfer, arrêtons le massacre des enfants”. Il va dans les hôpitaux et fait le pitre avec un faux-nez rouge pour redonner le sourire à ces enfants blessés, et se fait réclamer comme “le clown Pimpa”.
Mais s’il sourit devant les enfants, sa colère est sans équivoque quand il écrit, le 25 juillet : “c’est le moment de dire halte au massacre, halte à ce lent nettoyage ethnique, halte à tous les mensonges utilisés pour justifier ce massacre de vies humaines”; il ne s’agit pas pour lui de trêves, mais de rendre aux habitants de la bande de Gaza “la dignité humaine sans laquelle aucun progrès ne pourra être fait sur le chemin de la paix”. Surtout il pense aux enfants pour lesquels le traumatisme psychologique des bombardements est la chose la plus inhumaine (…) "A Gaza il n’y a ni abris, ni sirènes d’alarme avant les bombardements, les enfants n’arrêtent pas de pleurer : comment ne pas comprendre que ces enfants grandiront avec la rage au ventre et une haine irraisonnée contre ceux qui auront détruit leur enfance ?”
Pourtant son message n’est pas un message de haine, il reste un message d’espoir et d’amour. Dans un post du 31 juillet dernier, il raconte sa conversation téléphonique avec le père Georges, curé de l'église de Gaza déjà endommagée par les bombardements. Celui-ci, que des habitants ont surnommé “la montagne de courage”, décrit la violence qui apparaît chez les groupes de réfugiés sans abri et sans ravitaillement, qui passent la nuit dans le noir et dans l’incertitude. Mais il reste confiant sur une amélioration de la situation et le message est ici : “stay in prayer to stay human”, prions pour ne pas perdre notre humanité…
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