Introuvable en librairie car édité à compte d’auteur, le gros volume du Capitaine (ER) Jean-Pierre Tributsch est unique : en 592 pages abondamment illustrées, cet adjoint du Colonel Michel Aubry, qui créa le musée des blindés de Saumur, raconte en détail les « 30 années de recherches et récupérations – 1965-1995 » qui ont abouti à la constitution d’une collection unique au monde car un grand nombre de chars et d’engins blindés sont en parfait état de marche.
Né en France pendant la première guerre mondiale, le char s’est développé en quelques décennies pour devenir l’acteur majeur des batailles du 20e siècle, en une guerre opposant industriels, stratèges et utilisateurs opérationnels de chaque pays, avec des échanges et des emprunts fréquents à l'autre camp.
Ainsi, comme les Allemands en 1938 récupérèrent les blindés tchèques, puis en 1940 les blindés français, avant de faire tourner toutes les usines de l’Europe conquise au profit de la Wehrmacht, les Français récupérèrent en 1944 un certain nombre de chars allemands abandonnés pendant la bataille de Normandie. Le Capitaine Tributsch raconte que lorsque les troupes allemandes de la pointe Saint-Gildas (Loire Atlantique) virent débouler un escadron de Panzer IV, de Panther et de Tigre I récupérés par les troupes de la 2e DB, « ils se rendirent sans opposer la moindre résistance ». Même surprise lorsque ce régiment de la 2e DB engagea ces chars sur le territoire allemand en 1945.
Les Parisiens ont pu admirer pendant trente ans deux Panther capturés par les hommes de Leclerc à Dompaire dans les Vosges et portant l’insigne de la 2e DB sur la peinture jaune sable allemand (à gauche) ; mais en 1975, le maréchal Gretchko fêta le 30e anniversaire de la victoire de 1945 en offrant un T34 soviétique (à droite) qui vint rejoindre les deux Panther allemands… avant que des manifestants antisoviétiques ne l’incendient à coups de cocktails Molotov, avec une conclusion logique pour épargner l’Hôtel des Invalides : les trois chars furent déménagés de nuit et transportés au musée des blindés de Saumur.
L’histoire de ce musée est une aventure exceptionnelle : celle d’un passionné, le colonel Aubry (à gauche, en civil), et de son adjoint, le capitaine Tributsch (à droite), qui vont passer trente ans à chercher, traquer, récupérer avec peu de moyens, rassembler et restaurer l’un des patrimoines les plus riches au monde sur l’histoire des engins blindés. L’histoire commence très tôt puisque le jeune Aubry, volontaire à dix-huit ans pour combattre dans les rangs des FFI, s’illustra en capturant une chenillette allemande qu’il amena jusqu’à l’Hôtel de ville pendant l’insurrection parisienne. Engagé ensuite dans la 2e DB jusqu’à la capitulation allemande, avant de rejoindre l’armée pour une longue et aventureuse carrière militaire, le jeune Aubry réussit à conserver puis restaurer la chenillette qui sera le premier élément de son étonnante collection.
Il faudra pourtant attendre vingt ans après la fin de la guerre mondiale, en 1965, pour que le ministre des armées décide la création du CDEB, le centre de documentation sur les engins blindés, à l’école d’application de l’arme blindée cavalerie (EAABC) de Saumur. Et pendant ce temps-là, le chef d’escadrons Aubry, qui est affecté en 1968 au 3e régiment de Cuirassiers à Lunéville, va en faire le cœur géographique d’un vaste travail d’enquête à travers tout l’est de la France, à la recherche de blindés destinés au CDEB. L’adjudant Tributsch, affecté aux services techniques du régiment, va devenir son complice et l’accompagnera pendant les trente ans de cette aventure.
En mars 1976 par exemple, c’est un Panther (ci-dessus) qui est sorti d’un étang à Parroy en Lorraine, après une enquête archéologique et policière, le recoupement de témoignages d’époque et une exploration avec hélicoptères et plongeurs. Le char est remonté avec ses munitions intactes, et ses batteries Varta vont fonctionner une fois rechargées ! Quelques hommes de 45 ans, gamins en 1944 lorsque le char avait été abandonné par son équipage, vont même rendre les quelques accessoires qu’ils avaient récupérés à l’époque…
En juillet 1978, treize ans après sa création avec une trentaine de véhicules, la collection du CDEB atteint 308 véhicules – elle sera de 550 engins en 1984 et 800 dix ans plus tard… 1978 est aussi l’année où Tributsch, après deux ans au 1er Etranger de Cavalerie, est affecté à Saumur pour rejoindre pour de bon « la bande à Aubry ». Ensemble, ils présenteront au Carrousel de cette année-là une rétrospective dynamique des blindés français, pour le 80e anniversaire de l’armistice de 1918, qui va susciter une nouvelle moisson d’informations transmises par des particuliers sur des épaves ou des engins abandonnés. Mais le CDEB n’a pas les moyens d’acheter ces vieux engins qu’on lui propose ! D’où la création fin 1978 de l’AAMB, l’association des amis du musée des blindés destinée à recueillir des soutiens financiers, avec un bulletin rédigé par l’historien militaire Patrick Mercillon.
Le livre est précis, techniquement détaillé, riche en anecdotes. Tributsch nous livre le récit homérique du prêt d’un Panther aux Allemands à l’occasion de la présentation aux autorités fédérales du nouveau Leopard II, en 1979. Le Panther, qui avait demandé dix-huit mois de restauration avec des pièces provenant de plusieurs chars, avait été remis en parfait état de marche y compris avec les marquages de la Wehrmacht. Le transport ferroviaire entre Saumur et Munich avait été une première aventure, puisqu’il s’était terminé en porte-char sur l’autoroute. Il était arrivé deux minutes avant le début de la cérémonie officielle, le 29 octobre 1979 aux usines Kraus-Maffei à Munich. Après les essais comparatifs du nouveau Leo II et du Leopard I-A4, les équipages français et allemand avaient opposé sur la piste le Panther au Leo I, puis échangé leurs engins : une expérience unique, et une reconnaissance allemande du travail accompli par l’équipe Aubry pour remettre à neuf ce char trente ans après.
D’innombrables photos racontent non seulement le travail technique, de l’épave à l’engin remis à neuf, mais aussi les équipes, ingénieurs et techniciens, et montrent des visages ou citent des noms familiers. Certaines photos sont signées Pierre Touzin et Christian Dumont ; outre Patrick Mercillon, sont également cités Stéphane Ferrard et le regretté Alain Gougaud : tous les spécialistes du char et de l’arme blindée cavalerie sont là, complices d’Aubry et ardents défenseurs d’un musée désormais jalousé pour ses collections. Car celles-ci s’agrandissent : après l’est de la France, puis la Normandie, c’est l’ensemble du territoire français et des champs de tir qui sont systématiquement fouillés. Puis Aubry élargit son champ d’investigation à l’étranger, récupère par son réseau d’amis des engins soviétiques sur les champs de bataille du Moyen-Orient, tout en lançant une politique d’échanges avec les grands musées partenaires.
En 1985, c’est la remise en état d’un char B1bis à partir d’éléments de provenance différente, dont une tourelle récupérée sur un blockhaus allemand près du Havre. Puis en 1986, c’est le tour d’un T59 chinois récupéré au Zaïre, avec un Cascavel brésilien récupéré au Tchad…
Toujours à la recherche de financements pour ses acquisitions et ses travaux de réparation, Aubry lance une politique de coopération avec le cinéma. Le livre présente quelques-uns des chars originaux prêtés ou loués pour de tournages, Sherman (ci-dessus à gauche), T34, T54, BTR152, ou parfois des chars « déguisés » comme ce M24 en Panther ou ce half-track en SDKFZ-251. Plus tard le musée sera associé au tournage du film de Claude Pinoteau « la neige et le feu » avec un Tigre royal (au-dessus à droite), un Panther et six Sherman, qui tourneront dans la neige avec des techniciens assurant l’entretien dans les pires conditions. De même, des chars russes seront prêtés pour « L’insoutenable légèreté de l’être » et « Les uns et les autres ».
Une photo rare montre le capitaine Tributsch aux commandes d’un T62 dans le port de Marseille, débarqué discrètement d’un cargo israélien. C’est un rapatriement discret, fruit d’un cadeau qui sera livré sans documentation et passera la douane sous une bâche… Une autre le montre au volant d’un Schwimmwagen allemand, avec un casque de tankiste soviétique, lors d’un Carrousel.
En 1987, le musée s’enrichit d’un Schneider et d’un Saint-Chamond, offerts par le musée américain d’Aberdeen, ainsi que d’engins échangés avec le musée britannique de Bovington. La conséquence de cette politique d’acquisitions est que la collection éclate dans l’EAABC. Ce sera alors la recherche d’un site plus adapté, qui aboutit fin 1990 au transfert des blindés de leurs 3.000 m2 du manège Bossut aux 36.000 m2 de l’usine SEITA : la collection est enfin à l’abri, un an plus tard c’est le colonel Aubry qui est mis à la retraite, tout en restant actif au sein de l’AAMB.
En 1992 le Capitaine Tributsch est nommé directeur du CDEB, poursuivant l’œuvre d’Aubry, qui décède le 26 mars 1994, laissant un patrimoine historique unique au monde. Mais l’expertise des spécialistes du musée, qui font aussi des évaluations des matériels les plus récents comme le Merkava, le Leopard II et le T72 (ci-dessous), leur vaut la jalousie des services techniques officiels, lesquels leur demandent de se limiter à l’étude des vieux chars. En décembre 1995, c’est au tour du Capitaine Tributsch d’être mis à la retraite, et le musée se concentrera de facto sur la gestion et la restauration du patrimoine ancien.
Le musée continue depuis à rayonner, le Carrousel de l’Ecole auquel il participe avec ses blindés restaurés jouit pour cette raison d’une réputation internationale, mais le manque de moyens limite ses ambitions. Par son témoignage, le Capitaine Tributsch laisse à l’Histoire le récit de la constitution de ce patrimoine, avec des tableaux détaillés de l’arrivée des engins, de leur restauration, pointant même ceux qui ont disparu depuis, du fait de cessions mal enregistrées ou de prêts non récupérés : sans accuser, l’auteur regrette qu’un statut plus solide du musée n’ait pas permis une gestion plus rigoureuse de son patrimoine. Au moins avons-nous désormais un inventaire précis et en couleurs de cette étonnante aventure qui fait que la France, pays de naissance des blindés, est le dépositaire de toute leur histoire dans le monde.
“30 années de recherches et récupérations – 1965-1995”, Capitaine (ER) Jean-Pierre Tributsch. 600 pages, 500 photos inédites.
49,50 euro +9,90 euro de port (48h) - Commande a J-P Tributsch 28 rue de la Vecquerie 44600 St Nazaire ou au 0240530428
Merci mon ami d'avoir eu le courage de faire ce livre que de souvenirs !!!
Rédigé par : Baugé guy | 31 octobre 2015 à 08:45