Découvert par hasard dans une galerie de Shanghaï, Lu Hui a été pour moi qui ne connais rien à la peinture chinoise contemporaine une révélation. Un style très personnel, une maîtrise du dessin, mais surtout le témoignage d’une vie rurale décrite avec une très grande humanité, une souffrance qui transparaît parfois dans les visages.
Pour voir les tableaux de Lu Hui à Shanghaï, il faut aller à Moganshan Lu, le complexe artistique “M50”, et entrer dans l’une des premières galeries à droite, la galerie Hui Na. C’est une dame charmante qui accueille le visiteur et qui répond à se curiosité. Car à part trois ou quatre tableaux de cet artiste accrochés au milieu de tout le reste, les autres sont posés au sol, adossés au pied du mur, l’un au-dessus de l’autre, presque cachés. D’où le fait que certaines photos sont de travers, prises dans des conditions acrobatiques… Mais que de découvertes quand on soulève ces tableaux l’un après l’autre !
Né en 1954 à Xi'an, dans la province de Shanxi, Lu Hui doit se battre dès sa petite enfance : il a à peine un an lorsque ses parents sont envoyés dans un village très éloigné car son père avait imprudemment plaisanté avec un collègue de travail sur le parti communiste. Elevé ensuite par ses grand-parents, il est atteint de poliomyélite alors qu’il n’a pas deux ans, et restera handicapé : il marche toujours avec une béquille. Ses grand-parents décèdent alors qu’il a dix-sept ans, et il se voit refuser l’entrée à l’académie des Beaux-arts de Xi’an à cause de son handicap.
La souffrance de ces petits enfants de paysans pauvres n’est donc pas inventée, on sent que les épreuves l’ont marqué et ouvert sur la souffrance des autres. Frustré dans sa vocation artistique, il travaille comme ouvrier dans une usine de carton, tout en suivant des cours de peinture en cachette, à l’extérieur des salles de classe. C’est certainement au fait qu’il se soit formé tout seul qu’il doit son style très indépendant, au carrefour de traditions très diverses et également fortes : l’art traditionnel – il est homonyme d’un peintre paysagiste du siècle dernier - mais aussi l’art “révolutionnaire”, avec les thèmes du paysan et de l’ouvrier, et l’art le plus récent qui mêle le figuratif le plus réaliste à un humour toujours présent qui sait manier le second degré : c’est tout en finesse, on est loin de la peinture de provocation des peintres contemporains les plus connus, notamment à Pékin.
Certains de ses paysans aux champs sont étonnants : on dirait des universitaires distingués plutôt que des cultivateurs. Soit c’est un témoignage de la dignité ancestrale des Chinois, quel que soit leur milieu, soit c’est un souvenir de l’époque pas si lointaine où les élites intellectuelles étaient envoyées cultiver la terre pour parfaire leur rééducation. Et, très certainement, un hommage à ses parents qui ont connu l'exil forcé dans une campagne lointaine.
Mais Lu Hui ne peint pas seulement les personnes âgées, il sait peindre des femmes de tous les âges, de la gracieuse danseuse à la vielle paysanne ridée, avec un regard décidément moderne : les jeunes Chinoises de Xi’an ressemblent aux femmes de toujours et de partout, qu’elles posent pour l’artiste ou qu’elles soient comme photographiées dans les transports en commun. Son rapport aux femmes est le résultat d’une rencontre décisive, celle de son épouse. Elle aussi handicapée des suites d’une poliomyélite, elle partage ses galères et encourage sa vocation. Et c’est une autre femme, peintre elle aussi, qui aidera matériellement Lu Hui à persévérer.
Femme aux champs, femme à la ville, femme au travail ou jeune fille interrogative, elles reflètent elles aussi le même regard plein d’humanité indulgente de ce peintre passionné d’art traditonnel et humaniste. Son combat et sa persévérance, avec l’appui de ses proches, lui permettent finalement de percer : il expose à Xi’an en 1997, puis à Shanghaï, ses toiles commencent à s’exporter, sa notoriété lui permet de participer à l’Expo de Shanghaï en 2009. Mais c’est à Xi’an qu’il réside encore aujourd’hui, et qu’il a pris sa revanche sur le destin : devenu président de l'Association des Échanges culturels sur les dynasties des Qin aux Han, il est surtout le vice-président de l'Académie des Beaux-arts du Shanxi, alors qu’il s’en était vu refuser l’accès dans sa jeunesse.
La galeriste nous fait découvrir le fils de Lu Hui, Lu Yamo, né en 1988 à Xi’an. Fils né d’un couple totalement engagé dans la peinture, il a grandi au milieu des pinceaux et des toiles de son père et a commencé à peindre dès l’âge de six ans ! Encore étudiant, ses œuvres ont été achetées par l’Académie des Beaux-Arts de Xi’an et commencent à être cotées dans les ventes. Un peintre tout jeune à la recherche de son style propre, mais qui a de grandes ambitions et a hérité du coup de pinceau du père.
On ne peut s’empêcher de comparer cette tête de vieillard peinte par le fils (ci-dessus à gauche) à cette autre tête peinte par le père (au-dessous à gauche) : on voit bien la filiation… Pour autant, Lu Yamo se cherche et saura certainement faire sa propre synthèse entre influences traditionnelles et création personnelle (ci-dessous à droite).
Pour l’instant Lu Yamo prépare une exposition, il y travaille depuis 2011 et fera certainement parler de lui. En attendant, un grand merci à Zhang Hongwei d'avoir pris le temps de m’aider à remonter le fil de ces deux peintres qui offrent un regard très réaliste sur la Chine profonde, surtout Lu Hui qui raconte si bien sa province de Xi’an, et mériteraient d’être mieux connus.
Belle découverte ! Bises
Rédigé par : Léonie | 09 septembre 2014 à 09:56