Le parti pris de l’exposition qui vient de s’ouvrir au Musée de l’air et de l’espace du Bourget, c’est de montrer que les aviateurs de la Grande Guerre n’étaient pas des héros mythiques évoluant comme des artistes loin au-dessus de l’enfer des tranchées, mais des combattants découvrant une réalité aussi cruelle dans la troisième dimension, puisque 17% des pilotes français engagés y trouvèrent la mort.
Inauguré comme un moyen complémentaire pour l’observation d’artillerie, à côté des ballons d’observation et même des nacelles tractées par cerf-volant (à voir absolument, dans la galerie de la 1ère guerre mondiale, le système Saconney tracté par un treuil automobile Delahaye), l’avion était au départ un outil au service des artilleurs, et des états-majors pour les premières photographies du champ de bataille. (Ci-dessous, dans l'expo, séquence de photos aérienne montrant le front de la IVe armée au 13 septembre 1915, avant la grande offensive de Champagne)
Mais c’est le 5 octobre 1914 exactement, on vient de fêter le centenaire sous le signe de la réconciliation franco-allemande, que le premier combat aérien vit deux avions s’affronter, l’équipage français l’emportant sur son adversaire allemande en utilisant une mitrailleuse Hotchkiss montée par l’industriel Voisin sans attendre le feu vert d’un état-major réticent.
Cette victoire du sergent Joseph Frantz, pilote, et du caporal Louis Quenault, mécanicien mitrailleur, va marquer un tournant radical avec l’apparition des avions de chasse armés et non plus simplement de reconnaissance (ci-dessus, aquarelle d’Albert Brenet montrant une escadrille Voisin sur le départ).
Première utilisation de la mitrailleuse, mais latéralement. Tout de suite on imagine que c’est plus facile pour le pilote de tirer dans l’axe de l’avion, premiers essais de tir à travers l’hélice, mise au point par Roland Garros d’un déflecteur métallique fixé sur l’hélice pour faire ricocher la balle plutôt que de briser l’hélice en bois (ci-dessus à gauche). Les Allemands copieront le dispositif sur un avion français abattu, puis c’est la mise au point de la mitrailleuse synchrone (à droite), avec un dispositif reliant le moteur au déclenchement de tir de l’arme de façon que les balles passent entre les retours de l’hélice… Pour suivre la séquence, il faut bien entendu passer de l’exposition temporaire, où sont exposés armes automatiques et canons embarqués, à la galerie permanente, où l’on retrouve l’hélice à déflecteur et les études de mitrailleuse synchrone.
Une partie de l’expo est aussi consacrée aux premiers bombardements. Une convention de Genève, de la fin du 19e siècle, interdisait de larguer des armes depuis les ballons, et par une lecture restrictive certains pensèrent que l’avion n’était pas dans la même catégorie : c’est dès août 1914 que Paris connut son premier bombardement aérien, avec la photo (ci-dessus à droite) d’une bombe larguée Quai de Valmy, projetant des balles de plomb, un dispositif inventé par l'ingénieur allemand Schrapnell. Pour les missions de bombardement nocturne qui se développent vers la fin de la guerre, les avions sont peints en noir, comme ces Voisins revenant de mission à l’aube (aquarelle d’Alfred Daguet).
Mais plus que la technique, c’est l’homme qui est mis en valeur par l’exposition : le combattant qui défie le froid, les trous d’air, les tirs depuis le sol, les pannes de moteur en vol, les tirs d’avions ennemis… L’aviation de combat est une dimension où la violence est permanente. L’exposition présente des témoignages, des carnets, des compte-rendus retour de mission, ainsi que les systèmes mis au point pour se protéger du froid effrayant, comme ces masques en cuir et ces pelisses épaisses, avec des gants à crispin : les cockpits sont encore ouverts, le froid descend très en-dessous de zéro en altitude, jusqu’à moins quarante degrés, le pilote et son mitrailleur sont immobiles et sans défense contre le vent.
l’exposition est très pédagogique, avec un luxe d’explications, de cartels, de photos, et même un parcours sensoriel pour les non-voyants, avec objets à toucher, cartels en braille et environnement sonore. Voir aussi le très intéressant reportage vidéo de Marc Quattrociocchi sur le site de Libération, avec une interview de Catherine Maunoury, directrice du musée, soulignant le tournant de 1916, la réaction française à une offensive aérienne de masse allemande, et le rôle de Tricornot de Rose pour organiser le combat aérien de façon structurée en dépassant le combat individuel.
Merci à mon jeune ami Maxime de m'aider à rectifier : ce n'est pas la Convention de Genève mais la Convention de La Haye qui interdisait l'usage agressif des ballons.
Rédigé par : pierre bayle | 06 octobre 2014 à 00:47