Le pari des responsables du Louvre, à l’époque Henri Loyrette, était de faire un deuxième musée qui ne soit pas une simple annexe de province, mais un musée novateur, largement ouvert aux publics les plus lointains et capable de rayonner autant que son frère parisien par la richesse des collections permanente et la vitalité des expositions temporaires : la visite au Louvre de Lens n’a rien d’une promenade secondaire, c’est en soi un nouvel éclairage sur les collections françaises, à quelques kilomètres de la frontière et plus au cœur de l’espace européen.
En débarquant de la gare, à une heure de TGV de Paris, on se trouve dans un paysage minier, avec corons et terrils, les collines de poussier. Le musée est fléché partout, il a même une navette prévue entre la gare et le musée. Mais celui-ci peut être rejoint à pied en un quart d’heure, à travers une promenade verte spécialement aménagée au milieu d’arbres et d’arbustes, qui amènent jusqu’au vaste terrain où s'intègre le musée. Un grand jardin apaisant, entre moderne et japonais, qui se reflète sur les façades du musée.
C'est le parti pris du cabinet japonais Sanaa, des architectes Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa. Avec ses vastes surfaces en aluminium poli qui couvrent la construction sur toute en longueur, le Louvre s’intègre dans son paysage du Pas-de-Calais et reflète la lumière tamisée du ciel de Lens. Une lumière qu’on retrouve à l’intérieur, largement diffusée par les plafonds vitrés et par une muséographie totalement ouverte, avec des jeux de reflets qui renvoient la lumière naturelle en parfaite harmonie avec l’éclairage.
La partie la plus importante c’est la Galerie du temps, qui porte bien son nom. D’un seul regard, le visiteur peut parcourir sur 125 mètres quatre mille ans d’histoire à travers des chefs d’œuvre mis en perspective sans barrière, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des autres musées, dont le Louvre de Paris.
De la troupe des serviteurs funéraires de Neferibreheb à l’urne funéraire étrusque qui tend les bras, en passant par Mithra sacrifiant le taureau et par un Jupiter romain flanqué d’un aigle, ou le bas-relief mésopotamien avec un archer de la garde de Darius 1er, c’est toute l’Antiquité qui se côtoie, de l’Europe à l’Asie, avec des statues qu’on peut voir, contourner, presque toucher : seules les pièces les plus petites et les plus précieuses sont à l’abri de vitrines de verre, elles-mêmes transparentes sur toutes leurs faces. Clairement, les objets sont ici offerts au public et mis à sa portée, sans les barrières habituelles.
Placés à hauteur d’homme, les objets et statues sont accessibles à tous, on peut en apprécier les moindres détails. Ainsi ce bas-relief de la garde prétorienne romaine, où l’on peut remarquer les soldats en pleine conversation. Et si le silence est appréciable, beaucoup de visiteurs déambulant avec sur la tête le casque de l’audioguide, quelques guides-conférenciers accompagnent les groupes qui peuvent librement circuler au milieu et autour des statues examinées.
Par la magie de la transparence, on peut comparer sur cette longueur des nus d’hommes et de femmes d’époques et de civilisations très éloignées : l’athlète grec classique à côté d’une copie romaine du discophore, presque à côté de la baigneuse de Falconet (fin 18e siècle) et de la Vénus à la pomme de Thorvaldsen (1805).
Témoignage étonnant, cette décoration en plaques de céramique peintes qui représente le baptême du roi arménien Tiridate IV, faisant de l’Arménie le premier royaume dont le christianisme est religion d’Etat en 306, presque trente ans avant la conversion de l’empereur Constantin. Le panneau est d’Ispahan, fin du 17e, et représente autour dubthème une procession de la communauté arménienne de cette ville d’Iran, où elle réside toujours.
D’autres pièces témoignent aussi de la richesse des collection en art musulman, panneaux de céramique, objets en céramique ou en métal, moucharabiehs en bois, armes et casques. L’olifant ci-dessous, provenant du sud de l’Italie, est de facture arabe comme de nombreux objets similaires rapportés en Europe au moment des croisades – dont un olifant semblable à Assise, offert par le sultan Malik al-Kamel à Saint-François. Les explications techniques sont faciles à trouver grâce à un audioguide interactif qui permet de situer un objet sur le plan et de cliquer pour obtenir le commentaire sonore. A droite, une peinture vénitienne de 1511 montre l’accueil d’une ambassade vénitienne à Damas, dont on reconnaît la porte d’entrée et, derrière à gauche, la façade intérieure de la mosquée des Ommeyades.
On peut passer une journée à découvrir chaque oeuvre en détail, mais on peut aussi bien y passer deux heures seulement à reconnaître des œuvres déjà connues et ici présentées de façon superbe. La reine d’Espagne ou Oedipe répondant au sphinx, sans mentionner toute la partie la plus récente, les régions et les époques se croisent sans qu’on se lasse, avec de possibles retours en arrière comme pour aller revoir l’assiette au serpent de Bernard Palissy, celui qui figurait dans nos manuels d’histoire…
Si le musée n’offrait pas d’exposition temporaire ce week-end – l’expo sur “les désastres de la guerre – 1800-2014” venait de se terminer, en revanche la visite se poursuit avec ce qu’on appelle les coulisses du musée : au sous-sol, à côté des réserves pour une fois visibles, avec les sculptures et les peintures alignées sur des rayonnages, une salle pédagogique offre un accès à toutes les œuvres non seulement documentaire, mais également par image en trois dimensions.
On peut ainsi faire une visite virtuelle de tout le musée, mais aussi s’amuser à détailler une statue en la faisant pivoter par un geste du doigt : un exercice fascinant et très pédagogique, là aussi on ne voit pas le temps passer, et cette partie confirme que le musée est vraiment ouvert à tous les âges et tous les niveaux de culture.
De fait, le musée ne désemplit pas, même s’il n’y a jamais encombrement grâce à lamuséographie aérée. Le passage est important. Il paraît qu’il y a des Lensois qui, après deux d’existence, n’ont pas encore visite leur musée… alors qu’il se trouve à trois cent mètres du stade du Racing Club de Lens. Mais les visiteurs viennent du département du Nord et de la métropole de Lille, de Belgique, d’Europe du nord, à en juger par les voitures dans le parking. Et il y a aussi des groupes de Japonais et, depuis peu, également de Chinois. Un signe qui ne trompe pas sur la réussite de ce Louvre de Lens.
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