Difficile d’ajouter à tout ce que j’ai entendu mardi au départ de ce grand capitaine d’industrie, homme public, homme privé, chef d’un groupe de 45.000 employés après avoir commandé deux usines à Shanghai, et chef aussi d’une tribu familiale exemplaire… Mais difficile de rester sans saluer celui qui, recouvert d’un drapeau tricolore avec un coussin portant sa Légion d’Honneur, était aussi un capitaine de réserve, immensément attaché aux valeurs de la nation, au bien public et au service de l’Etat.
Luc Oursel, accompagné mardi à l’église de Saint-Germain en Laye pour “monter la dernière marche”, comme a dit le père Nicolas Lelegard qui n’était pas le moins ému, était entouré de ses amis publics et privés, une foule. Un ancien ministre de la défense, celui qu’il avait servi, Pierre Joxe, deux anciens directeurs de cabinet de la défense, avec nombre de camarades de cabinet, de camarades de promotion de l’Ecole des Mines, de camarades de sa carrière industrielle.
Le groupe qu’il dirigeait jusqu’à sa démission il y a moins de deux mois était présent avec un nombre important de responsables et d’employés, venus saluer celui qui, vrai chef mais homme de terrain, était au plus près de ses hommes et avait pris le risque de se rendre à Arlit, au Niger, dès le lendemain d’un attentat contre le site Areva – ce qui expliquait la présence des diplomates africains qui avaient apprécié le geste.
Beaucoup de témoignages ont été lus dans la presse et entendus mardi pour reconnaître les qualités de l’industriel, capable d’affronter les problèmes de face et avec ténacité, en associant les équipes dans un effort collectif, avec un talent de combattant. Ce n’est pas un hasard.
S’il y a des choses dont Luc a été fier, c’est bien sûr sa famille, les quatre enfants élevés avec son épouse dans le sens des valeurs qu’ils partageaient, mais aussi son engagement d’officier de réserve. Fils d’un officier de carrière, marqué par la guerre d’Algérie, Luc en a gardé un attachement fort à l’institution militaire et s’il n’avait pas dépassé le grade de capitaine, faute de temps à consacrer à la réserve, il était fier du sabre que lui avait offert Pierre Joxe pour sa promotion au grade de capitaine de l’arme blindée cavalerie. A l'époque, il se battait aux côtés du ministre sur les projets de restructuration de l'industrie de défense, avec en particulier le dossier de la Sogepa.
Et lui qui avait horreur du piston et des passe-droits, il était quand même intervenu, et c'est un paradoxe qui illustre l'attachement aux valeurs, pour permettre à son fils aîné de réaliser son souhait de faire un service militaire à une époque où ça ne se fait plus, passant un an comme chef de section dans les chasseurs alpins et comblant son père en joignant les deux passions de l’armée et de la montagne.
Si je ne l’ai jamais accompagné dans ses escalades alpines, j’ai eu la chance de partager avec lui un voyage d’études au Japon avec Pierre Joxe en 1992, condensé de culture asiatique et de high-tech, et un autre en famille en Iran en 2006 à l’invitation de l’ambassadeur François Nicoullaud et de son épouse, et nous avons à nouveau constaté combien la connaissance des autres pays et des autres cultures efface tous les clichés simplistes liés à la méconnaissance - comme la découverte de l'Iran profond caché sous le voile de la révolution islamique.
Battant et vrai combattant, Luc a mené sa vie comme une campagne. Assumant les fonctions qu’on lui confiait sans hésiter, malgré les difficultés prévisibles, menant ces missions jusqu’au bout, malgré les obstacles : se sachant malade et condamné à la fin de l’été, il avait décidé de tenir jusqu’au premier salon international de l’industrie nucléaire, la Word Nuclear Exhibition, qui s’est tenu du 14 au 16 octobre au Bourget. Il a tenu bon, car c’était une première dans une filière en difficulté sur le plan international. Il a donc remporté cette dernière victoire dans un combat qu’il savait perdu pour sa santé, sans rien laisser paraître, et n’a annoncé que le 20 octobre sa démission d’Areva pour raisons de santé – pour décéder le 3 décembre, à 55 ans.
Pour cet homme qui jusqu’au bout aura donné le meilleur de lui-même sans rien demander, désintéressé et fidèle en amitié, le salut final de ses amis aura été à la hauteur : l’église remplie a applaudi la sortie du cercueil, c’était son souhait, comme une boutade qu’il avait lancée à sa femme lorsqu’ils étaient en mission à Milan en 1998. Une tradition italienne née de l’hommage spontané des amis du juge anti-mafia Falcone assassiné en 1992, lors de son enterrement, première manifestation ouvertement anti-mafia en Sicile, le témoignage vibrant d’une foule reconnaissante.
A tous ceux qui l'ont rencontré, il laissera l'image d'un homme engagé et, au-delà de son franc-parler parfois abrupt mais dont il se moquait lui-même, profondément humain et attentif aux autres, un chef proche de ses hommes. Un officier, sans réserve.
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