Il y a eu la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement, événement extraordinaire par sa richesse et ses contrastes, sur lesquels vont épiloguer les éditorialistes. Et puis il y a eu surtout le déferlement populaire, cette foule immense dont chacun n’aura eu que sa vision parcellaire mais avec un sentiment très fort d’unanimité hors du commun : le défilé de dimanche à Paris restera quelque chose d'unique pour tous ceux qui ont eu la chance d'y participer.
Comme demandé par les autorités, pas de banderoles politiques, pas de symboles de partis, pas d’emblèmes confessionnels, pas de cortèges communautaristes. Pas de discours non plus, de harangues enflammées ou de slogans lancés au porte-voix. Au contraire, une fête familiale et bon enfant, avec un mélange indescriptible de gens de toutes origines, toutes couleurs, toutes religions, tous âges, avec des poussettes, des enfants même petits, et une profusion de crayons géants, symboles de la liberté de dessiner : il s'agissait bien de la liberté de la presse.
Le thème était celui de Charlie hebdo et du massacre de sa rédaction. Mais sans oublier les autres victimes du terrorisme, les policiers et les clients du magasin kasher de la Porte de Vincennes. “Je suis Charlie” dominait, complété pas “nous sommes tous des Charlie”, mais aussi “je suis Ahmed”, “je suis juif”, “je suis policier”.
Décliné dans toutes langues, dessiné, peint, en T-shirt, en calicot, écrit sur des crayons géants en carton. Avec un slogan qui synthétisait le tout : “je suis Charlie, flic, juif, je suis la République”. Et un autre, déjà vu sur les médias sociaux : “17 morts, 66 millions de blessés, ils ont voulu tuer Charlie hebdo, ils ont soulevé la République”. Pour une fois les calicots n'étaient pas distribués par les organisateurs, chacun avait créé son affiche, sa banderole, son panneau.
Au début, à l’arrivée des premiers milliers de manifestant encore dispersés place de la République, des vendeurs avaient apporté une moisson de drapeaux tricolores. A la question répétée par des jeunes du haut du socle de la statue de la République, “qui êtes vous ?”, la foule a d’abord répondu “Charlie !”. Puis elle a crié “la France!”. Enfin quelqu’un a lancé “le monde !” et c’était la réalité ce dimanche, le monde s’était donné rendez-vous entre la République et la Nation.
Personne n’avait de télévision portable et ne pouvait voir les dirigeants venus du monde entier – avec un gros bataillon européen venu de Bruxelles par Thalys spécial. Mais tous pouvaient jouer au jeu des devinettes en croisant les drapeaux, dans la foule ou sur le socle de la statue : Allemagne, Belgique, Portugal, Mexique, Palestine, Israël, Mali, République démocratique du Congo, Roumanie, Djibouti, Ceylan, Népal… Mais aussi des mouvements de libération comme celui du Soudan.
Il y avait des juxtapositions étonnantes, sur le même socle de la République, avec des manifestants brandissant le drapeau de la Turquie, celui du Kurdistan et celui du PKK. Un voisinage resté pacifique, démentant ceux qui avaient prédit des affrontements ou des incidents entre partisans de tendances opposées.
Même si, il faut le remarquer, les manifestants kurdes défilaient en groupe compact et bruyant avec leurs banderoles déployées, le drapeau du PKK et le portrait d’Abdullah Ocalan, leur leader emprisonné en Turquie, mais avec un slogan respecté : “la barbarie tue à Kobbané, comme elle tue à Paris”.
Même démenti pour ceux qui s’attendaient à des clivages confessionnels : au contraire, nombre de manifestants portaient le slogan “je suis Charlie, je suis juif, je suis musulman”. Des jeunes arboraient le symbole des trois religions du Livre. Une pancarte disait en arabe: “tu ne tueras pas un innocent, c’est Dieu qui le commande”.
Pas une seule mention de djihadisme ou de radicalisme islamique entendue ou lue, simplement le slogan repris par la foule unanime : “terroristes assassins". Et des Marseillaises reprises spontanément ici ou là par les manifestants attendant de démarrer, quelque chose qu’on n’avait pas entendu depuis longtemps repris par une foule, même sur les stades sportifs.
Slogan repris souvent aussi, par écrit : “pas peur”, “not afraid”. Une réponse de plus au fait que le terrorisme n’a pas gagné, que la France n’a pas peur, qu’elle se bat pour sa liberté de la presse comme un droit fondamental parmi les droits de l’homme, pour elle comme pour le reste du monde.
L’impression ultime reste celle d’une masse immense, rien à voir avec la manifestation de 2002 contre le Front national, c'était une marée humaine. Alors que les deux cortèges ayant emprunté des itinéraires parallèles depuis la République se rejoignaient à Nation vers 16 heures, une foule compacte se pressait encore à la hauteur de la Porte Saint-Denis sur les grands boulevards, et au carrefour Sébastopol sur la rue Réaumur, attendant de pouvoir seulement accéder à la République : sans impatience, digne et détendue, avec le sentiment partagé par tous de vivre un moment historique.
Merci Pierre. A 16:00, j'etais encore Fbg St Antoine, et le défîé avait en fait commencé à Bonne Nouvelle... Prémonitoire...
J ai aussi entendu les memes slogans que toi mais aussi, un "merci la police" certes moins souvent, mais néanmoins sincère...
Rédigé par : Pierre Antony Vastra | 11 janvier 2015 à 19:00
Je confirme, et aussi des remerciements adressés directement aux policiers du service d'ordre !
Rédigé par : pierre bayle | 11 janvier 2015 à 19:03