Plus que l’aventure du peuple malien ou celle de ses soldats du Groupe aéromobile (GAM) de la brigade Serval, comme justement remarqué par Philippe Chapleau, le « Journal de guerre au Mali » du colonel Frédéric Gout est un plaidoyer vibrant pour l’aéromobilité, devenue centrale dans tous les combats aujourd’hui à la fois dans l’efficacité tactique de ses armes en appui de troupes au sol, dans la mobilité conférée à ces troupes, et dans l’évacuation sanitaire des blessés désormais prioritaire dans l’absolu.
Le colonel Gout, qui commandait le 5e régiment d’hélicoptères de combat de Pau, était d’alerte avec son régiment en janvier 2013 lorsque se décide l’intervention française au Mal. Il se trouve projeté sans préavis avec des moyens de renforcement prélevés sur d'autres unités et deux Puma de l’armée de l’air. Le témoignage de ce déploiement sans préavis, qui complète ceux donnés par d’autres acteurs, illustre bien cette spécificité des forces françaises qui fait l’étonnement de leurs alliés : la faculté de partir pour une opération sans savoir ce qu’on va trouver à l’arrivée.
Cette incertitude, assumée par le commandement, le patron du GAM va la retrouver à chacun des déploiements de ses hélicoptères et de leur soutien, de Bamako à Sévaré, puis Gao, puis Tessalit. Chaque fois c’est l’exploration d’une piste d’aviation avec peu ou pas d’infrastructures, l’absence de lits de camp, de tentes, d’abris pour l’entretien des machines, de salles pour les PC.
Le récit factuel décrit sans emphase le travail de ces pilotes et mécaniciens confrontés au manque de tout et qu’ils pallient par débrouillardise, ou par le sacrifice de leur confort : l’élongation du dispositif malien et la priorité donnée à la logistique de combat fait que les lits, tentes et douches de campagne resteront quelques semaines sur la piste de Bamako en attendant d’être acheminés sur les bases avancées du GAM.
Même chose pour l’acheminement du carburant, de plus en plus problématique à mesure que la brigade se déploie vers le nord-est et que les hélicoptères sont de plus en plus sollicités par les opérations. Il faudra faire des miracles avec les convois de camions citernes du Service des essences des armées (SEA), utiliser de l’essence avec des additifs pour en faire du kérosène, et réussir l’exploit d’une disponibilité permanente des hélicoptères aux besoins des groupes tactiques interarmées (GTIA) et de l’imprévu. Jusqu’à ce l’Algérie offre la disponibilité de ravitailler la brigade à la frontière nord du Mali, ce qui évidemment changera la donne pour la poursuite des opérations dans l’Adrar des Ifoghas.
Car le GAM est partout, sollicité pour tous les engagements, y compris ceux des alliés tchadiens, et le titre « Libérez Tombouctou » est à cet égard trompeur, car le GAM a été de toutes les opérations qui ont abouti à la libération du territoire malien. Du reste, si les hélicoptères ont été de la partie à Tombouctou avec leur raid aéromobile, c’est bien un raid blindé des Marsouins du GTIA1 combiné à un parachutage du 2e REP (GTIA4) qui a permis de prendre la ville (voir aussi l'excellent "Offensive éclair au Mali", de Rémi Scarpa). Le colonel Gout aura la chance le soir même, il le raconte, d’accompagner le général Barrera, patron de la brigade, pour une visite de la ville et de la maison de René Caillé.
(Ravitaillement dans les Ifoghas – Photo Kenzo Tribouillard AFP, prix Vermeille 2014)
Le chef du GAM restera fixé sur deux objectifs personnels pendant toute sa mission : préserver la disponibilité de ses machines – au risque de bousculer ses subordonnés pour économiser le potentiel lorsque le GAM sera éclaté entre Gao et Tessalit – et ramener tous ses hommes en fin de mission, donc veiller chaque heure de chaque jour à la sécurité de tous. Le groupe aéromobile est arrivé au Mali au lendemain de la mort du lieutenant Damien Boiteux – qui sera promu commandant – mortellement touché au premier jour de l'intervention française, aux commandes de sa Gazelle. Boiteux servait au 4e RHFS mais son épouse travaillait au 5e RHC avec le colonel Gout, doublement affecté par cette perte. Cette préoccupation dictera les conditions d’engagement et d'altitude de vol, qui évolueront au fil des opérations à mesure qu’on connaîtra mieux l’adversaire. Il révèle au passage que la première mission a été effectuée sans munitions, celles-ci n’était pas encore arrives sur le théâtre…
Quelques passages marquants sur les djihadistes capturés, dont un Français, et surtout sur les enfants et adolescents mobilisés par les djihadistes, dont la présence contribuera au stress des combattants français. Un stress qui vient s’ajouter aux conditions climatiques et physiques épouvantables, en particulier pour les mécaniciens qui tarderont à recevoir des tentes à air conditionné pour travailler sur l’entretien des machines.
Des réflexions personnelles, enfin, sur l’utilisation tactique de l’aéromobilité avec une tentative, qu’il ne mènera pas jusqu’à bout faute de temps, de créer des détachements d’interception aéromobiles (DIA) en embarquant des commandos sur des hélicos de transport. Ce qui se fait sans doute couramment au COS avec le 4e RHFS, mais pas dans les forces conventionnelles.
Le GAM tel que l’a commandé le colonel Gout se situe à un moment charnière : le commandement reconnaîtra progressivement la nécessité de l’outil aéromobile en accordant les renforcements demandés au fur et à mesure par Gout, en accord avec le général commandant la brigade. Mais il faut jouer avec un assortiment d’appareils de générations différentes : la valeureuse mais vulnérable Gazelle pour le tir missile, le Puma pour le transport tactique, le Tigre pour le tir canon. Avec l’arrivée toute récente du Tigre appui-destruction (HAD) armé à la fois de canon et missile, et celle progressive du NH90 Caïman, on peut imaginer un emploi beaucoup plus offensif de l’aéromobilité : retrouver, comme en rêvent tous le pilotes de l’ALAT, la puissance qui était celle de la 4e Division aéromobile au moment de sa création, quand on imaginait des escadrilles de Gazelle antichar déployées en ligne pour obstruer la trouée de Fulda…
Libérez Tombouctou – Journal de guerre au Mali, Frédéric Gout, Tallandier Ed.
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