Deux siècles après les Cent jours, mal terminés à Waterloo, l’île d’Elbe continue à commémorer l’envol de l’Empereur en poursuivant la restauration des deux résidences de Napoléon, la résidence d’été de la villa Demidoff, actuellement fermée pour travaux, et la résidence d’hiver de la Villa dei Mulini au cœur de Portoferraio (ci-dessus), où les peintres poursuivent le lent travail des décorations en trompe-l’œil, ce qui permet à chaque visite de s’enrichir d’une ou deux salles rendues au public.
Perchée sur la pointe qui domine Portoferraio, la Villa dei Mulini tourne le dos au port abrité et fait face au large, entre le Fort Stella et le Fort Falcone, avec un jardin en terrasse qui domine ses remparts, dans un site totalement préservé. Les citronniers de l'Empereur donnent encore leurs fruits et, s'il est interdit de les cueillir, le gardien autorise parfois à ramasser ceux qui sont déjà tombés.
la Villa domine également un quartier tranquille qui, avec les couleurs génoises en plus, rappelle certains points de vue d’Ajaccio mais aussi de Calvi. Suffisamment pour donner à Napoléon, qui n’était pas un nostalgique mais un homme tourné vers l’action, l’envie de faire un second départ d’une île.
Le port, enroulé tout à l’intérieur d’un golfe abrité comme à Calvi, pouvait accueillir les navires de ses “hôtes” britanniques mais aussi de petits vaisseaux français qui assuraient un lien avec la France et qui, sans éveiller les soupçons des agents britanniques, permirent un beau jour à l’Empereur de filer à l’anglaise, pour reprendre le fil de son destin.
Celui qui fut le roi de l’Elbe un peu moins d’un an, et qui donna à ses habitants un drapeau orné de trois abeilles industrieuses, symbole du travail d’organisation et de modernisation entrepris dans l’île dans un temps aussi court, voyait bien en regardant la mer que ce n’était pas un nid pour l’aigle, pas pour un bâtisseur d’empire.
Cette petit Villa dei Mulini, comme du reste la Villa Demidoff, résume tout le contraste entre un décor respirant l’envie de grandiose et des proportions bien exiguës pour un tempérament comme Napoléon, dont un buste de Rude exprime bien le visage tourmenté qui pouvait être celui de l'exilé sur l'Elbe.
Sans compter la frustration personnelle : l’étage aménagé pour accueillir son épouse Marie-Louise et leur enfant le roi de Rome ne les accueillit jamais, et c’est sa sœur Pauline Bonaparte qui vint y séjourner, avec une grande chambre et un mobilier qui rappellent sa présence.
Comme pour ajouter au vague sentiment de tristesse qui ressort de ces lieux, les conservateurs ont ajouté une décoration qui évidemment n’y était pas lors du séjour de l’Empereur, des gravures des adieux de Fontainebleau et de la bataille de Waterloo.
Dans le bureau de travail de Napoléon, une belle étude d’Antoine-Jean Gros pour la préparation de son tableau de la bataille d’Eylau en février 1807, qui se trouve au Louvre.
Les bibliothèques contiennent des livres superbes que l'Empereur avait fait venir de Fontainebleau, mais qui à l'évidence n'ont pas suffi à remplir ses soirées.
Dans la bibliothèque, deux objets étonnant : un bronze de l’Empereur assis posant son pied sur une pendule en forme de mappemonde, Napoléon posant son pied sur le temps et sur l’univers, tout un symbole ; et un beau lutrin en bois doré, également avec un grand aigle impérial.
C'est bien ici un cadre qui se veut grandiose sans vraiment l’être, un jardin ouvert sur le large mais entre deux forteresses. En fait Napoléon a dû sentir le poids de ces murailles qui, loin de le protéger, l’enfermaient sous le regard des Anglais. Et on imagine aussi comment, regardant le ciel vers le nord, vers l’étoile polaire, il dû sentir l’appel du large et, à l’autre bout du Golfe de Gênes, des côtes de la France qui l’attendaient. Un projet d'évasion qu'il avait sans doute en arrivant sur l'île et qu'il prendra tout le temps nécessaire pour mener à bien.
Avec le bicentenaire l’année dernière, les Elbains ont rendu un hommage appuyé au bref passage de l’Empereur, qui a donné l’essor à toute une nouvelle industrie du culte napoléonien, nouvelle ressource touristique de l’île. Festivals, expositions, objets souvenirs et statues de toutes les tailles et pour tous les goûts, Napoléon reste ici, et pour toujours, un héros positif qui a su sortir la petit île de sa torpeur provinciale et en faire une capitale mondiale, même pour une si brève parenthèse.
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