Décidément, les pilotes de l’ALAT ont un prurit littéraire qui ne se dément pas : après Brice Erbland et son « Dans les griffes du Tigre », puis le colonel Frédéric Gout pour « Libérez Tombouctou ! », voici qu’arrive dans les librairies la saga du colonel Pierre Verborg, « Envoyez les hélicos », qui arrive à renouveler le genre par rapport aux deux premiers.
Erbland nous livrait, dans un style non dénué d’une hauteur saint-exupérienne, le témoignage d’un pilote aux prises avec ce système d’arme totalement innovant qu’est l’hélicoptère de combat Tigre. Un témoignage mêlant considérations techniques, tactiques et même éthiques, dans un style assez réussi pour lui valoir en 2013 la mention spéciale du prix littéraire de l’armée de terre Erwan Bergot.
Gout, dont le livre est tout récent, raconte la cavalcade des escadrilles de Gazelle, Puma et Tigre dans le désert malien en 2013, ou comment l’ALAT a su mener sa part autonome des raids et accompagner les raids blindés dans l’offensive éclair qui a permis de chasser d’ouest en est, puis plein nord jusqu’à la frontière algérienne, les groupes armées terroristes et permettre ainsi aux forces maliennes de recouvrer le contrôle de leur territoire.
Le récit de Verborg, qui reprend sa participation à toutes les opérations depuis l’Afrique à l’Afghanistan et jusqu’à Serval, a surtout le mérite de raconter une histoire peu connue, celle des raids de l’ALAT sur le territoire libyen en 2011 dans l’opération Harmattan, une expérimentation risquée qui a abouti à la création d’une nouvelle doctrine d’emploi.
Au départ, les hélicos de l’ALAT avaient été embarqués sur le BPC Tonnerre pour afficher une présence de l’armée de terre dans une opération Harmattan essentiellement menée par l’armée de l’air et par la marine – avec l’aéronavale du Charles de Gaule. Les hélicos du GAM, le groupe aéromobile, ont apporté « un peu de vert dans un monde bleu marine et bleu ciel – la palette est complète cette fois ».
Le colonel Verborg, soutenu par le colonel Alain Bayle qui est alors responsable de la préparation opérationnelle mobilité, est décidé à donner toute sa place au combat au GAM en reprenant ce principe de l’ALAT : voir autrement, différemment des schémas classiques. Il veut, explique-t-il, « un groupe qui saura regarder la nuit sans pâlir et la terre sans rougir ». C’est tout le récit d’un apprentissage déjà commencé quelques mois auparavant au 5e RHC de Pau, celui du raid groupé au ras du sol ou au ras des flots, pour une attaque surprise et massive de l’objectif.
Il faudra convaincre les différents commandements, bousculer les marins. Grâce à la compréhension et au soutien actif de ceux-ci, dont le pacha du « Tonnerre » le CV Ebanga, on modifie les règles de sécurité de décollage et d’appontage, permettant aux hélicos de partir plus groupés : « avec les marins, on met au point le décollage en meute par nuit noire, au-delà des textes ». Un entraînement intensif, l’apprentissage rigoureux du vol de nuit en silence radio, la répétition minutieuse de toutes les phases de l’attaque, rien n’est laissé au hasard, aucune place à l’improvisation. Y compris dans une opération combinée, non sans risque, avec l’artillerie navale de la frégate Jean Bart tirant en parallèle du vol des hélicos. Une efficacité qui assurera un sans-faute dans ces opérations toujours aussi risquées chaque nuit, et suffisamment coûteuses à l’adversaire pour que les communications radio libyennes répètent avec rage : « abattez ces chiens de Français ! ».
Le récit de cette expérience mérite à lui seul la lecture du livre. Comme le note Verborg, pour les opérations et pour l’aéromobilité il y aura un avant et un après Harmattan. On va codifier au niveau de la doctrine d’emploi ce qui a été essayé avec succès, et sans pertes, car le GAM aura respecté son mot d’ordre : « vaincre et ne rien perdre ». En juillet 2013, deux ans plus tard, le retour d’expérience permettra la naissance du concept de Groupement naval aéromobile embarqué (GNAM) codifiant l’emploi d’un GAM sur un BPC.
En particulier, dans les leçons de la Libye, après Harmattan « le vol de jour nous paraîtra contre-nature ». C’est une des leçons de cette opération aéromobile en Libye : l’apprentissage de la nuit avec tous ses aspects techniques, tactiques, de maintenance, et surtout humains, décrits dans le détail. Verborg met le GAM « en régime hibou – dormir le jour et travailler la nuit ». Et comme il faut chaque jour préparer le raid de la nuit suivante, et qu’on dort très peu, les pilotes sont accompagnés médicalement, avec utilisation dosée de somnifères – en revanche, ils n’auront pas besoin d’excitants ou de caféine, les raids générant leur propre dose quotidienne d’adrénaline.
Des passages intéressants sur la surveillance du stress dans les équipages, la prévention des « pétages de plombs » ou autres burnouts, le soutien psychologique sollicité auprès de l’aumônier militaire qui assistera aux briefing sans intervenir, mais prêt à parler à quiconque le souhaiterait.
Dans la dernière partie, le colonel Verborg retrace son itinéraire depuis le chute du mur de Belin en 1989 à son arrivée dans l’ALAT et ses différentes expériences opérationnelles. La partie Serval complète utilement le livre du colonel Gout, avec ses propres anecdotes et son analyse tactique.
Au total, ce livre et les précédents montrent bien que l’ALAT est une histoire de machines, d’hommes et d’imagination, avec des savoir-faire et des savoir-être spécifiquement français qui suscitent l’admiration de nombreux pays. Expérimentation en grandeur réelle des dernier équipements, dont les Tigre, Caracal et Caïman, ce qui leur confère ensuite le précieux label « combat proven », aguerrissement des équipages pour des opérations en tout point comparables à celles du COS, mais c’est surtout un défi qu’il s’agit de relever. Celui de prouver aux responsables militaires et politiques que les unités ALAT sont héritières de la 4e Division aéromobile, et que l’emploi groupé des hélicoptères de combat et de transport, même de façon autonome, justifient pleinement l’existence d’une grande unité.
Envoyez les hélicos ! Pierre Verborg, 225 p, Ed. du Rocher
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