L’état-major de la Marine nationale a quitté la semaine dernière l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde, un site historique devenu peu fonctionnel, pour rejoindre les autres états-majors et le centre de planification et de conduite opérationnelle (CPCO) sur le nouveau site du ministère de la défense à Balard, dans le quinzième arrondissement : un départ douloureux mais le bâtiment prestigieux sera préservé sous la gestion des Monuments nationaux et partiellement rendu à sa vocation première de musée.
L’Hôtel a été construit par Louis XV pour abriter le Mobilier national, et le projet validé en 1755. C’est l’architecte Ange-Jacques Gabriel qui réalise les deux façades, celle de droite pour le Mobilier national, achevée en 1766, et celle de gauche abritant quatre hôtels particuliers vendus par la Cour pour financer les travaux, bon exemple de financement d’un chantier public par des fonds privés, comme pour le partenariat public-privé (PPP) du chantier Balard.
Le garde-meuble de la Couronne, qui s’étend sur 22.000 mètres carrés dont 5.800 m2 habitables, est inauguré par Louis XV en 1772, et va devenir le premier musée de France ouvert au public puisqu’à partir de 1778 on peut le visiter chaque premier mardi matin du mois pour admirer la salle d’armes, la salle des bijoux et la galerie des grands meubles.
Les armes de la salle d’armes sont pillées par la population parisienne le 13 juillet 1789, avant que l’édifice ne bénéficie d’une protection particulière : l’installation à la fin de l’année, par ordonnance signée par Louis XVI le 26 décembre 1789, du commandement de la Marine, qui cherchait un lieu plus proche du roi puisque celui-ci avait été contraint de quitter Versailles pour s’installer aux Tuileries. Heureuse coïncidence, l’intendant du garde-meuble était Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray, proche parent du secrétaire d’Etat à la marine César Henri de la Luzerne et sensible à l’arrivée d’une armée pour protéger ce site. (Ci-dessus, à droite, l’escalier en fer forgé d’un seul tenant à été enrichi des armes de la Marine, et à droite les Marins en plein déménagement).
D’autant plus que pendant les désordres de cette année 1789, un audacieux cambriolage, réalisé par un commando d’une cinquantaine de personnes dont plusieurs déguisés en gardes nationaux, vole les joyaux de la couronne, dont le fameux Régent, qui disparaissent à jamais et dont de rares pièces se trouvent aujourd’hui dans des musées à l’étranger.
Par précaution, les collections seront mises sous scellés en 1792 puis, au fil des décennies et à mesure que le commandement de la marine s’étend dans l’Hôtel, les collections seront progressivement transférées, les armes au musée des Invalides, une partie des meubles et tapisseries au Louvre dès 1793, le reste au nouveau siège du Mobilier national, restant ainsi accessibles au public. En 1797, au moment de la « grande faillite » du Directoire, le garde-meuble est liquidé et une partie des collections dispersée, et c’est le mérite de la Marine d’avoir conservé quelques pièces exceptionnelles dont un monte-plat reliant les cuisines à l’étage de la salle à manger dissimulé dans une commode à trois portes (ci-dessous, ce n’est pas l’original).
Tout en faisant des ajouts spécifiques dans la décoration (Au-dessus, plafond et panneaux en bois aux armes des grands ports (Lorient, Brest, Toulon, Rochefort, Cherbourg…) redécouverts récemment). En 1799, l’Hôtel devient le siège du ministère de la marine et des colonies, et l’on y conserve encore aujourd’hui le bureau où Victor Schœlcher signa en 1848 l’abolition de l’esclavage (ci-dessous, replacé dans le bureau de l’amiral).
La Marine sait adapter ce lieu exceptionnel à ses besoins spécifiques : dans le salon des ambassadeurs, le conservateur fait découvrir la porte dérobée derrière laquelle se dissimulait le preneur de notes, qui écoutait par des trous percés dans le motif de la moulure.
Fastueux, le salon, des Amiraux, où seuls étaient admis des officiers généraux, et les salons de réception, une enfilade dont toutes les ouvertures donnent sur le balcon et sur la vue de la place de la Concorde.
De sa vocation de musée il ne restera pendant un temps que le musée naval, la Marine y amenant ses collections rendues accessibles au public entre 1801 et 1830. Le musée de la marine sera ensuite transféré au Louvre, puis en 1933 au palais de Chaillot où il se trouve toujours.
Les liens de parenté entre la Marine et le Mobilier national, au-delà de la parenté familiale de Ville d’Avray et La Luzerne, ont cependant permis à cette armée de bénéficier d’un traitement de choix pour la préservation de pièces exceptionnelles de mobilier. Avec la contrepartie d’une présence militaire permanente qui sauva même l’édifice : en mars 1871, sous la Commune, alors que les Tuileries étaient pillées et incendiées, l'intendant de l'Hôtel de la Marine eût l’idée de faire pendre de grands drapeaux blancs avec une croix rouge entre les colonnes du péristyle, pour indiquer que cet édifice fonctionnait comme hôpital, ce qui dissuada les émeutiers.
Lors du creusement du métro parisien en 1905, l’angle de l’Hôtel donnant sur la rue de Rivioli, construite à l’origine pour relier le Garde-meuble au Louvre, ce qui explique que ce soit le seul édifice d’où on puisse voir la rue de Rivoli en enfilade, un enfoncement de terrain se produisit : dans le salon d’angle, l’affaissement se constate dans le plancher qui s’enfonce et dans une grande faille encore visible au plafond. Il fallut plusieurs années de travaux pour consolider l’édifice (ci-dessus).
Pendant la deuxième guerre mondiale, l’Hôtel de la Marine fut occupé par la Kriegsmarine mais, pire encore, le conservateur M. Barbier confirme que l’Hôtel avait été « équipé » d’explosifs en vue de sa destruction, comme l’avait ordonné Hitler pour tous les monuments parisiens, et comme le Général von Choltitz en ignora l’ordre au moment crucial - on ne lui rendra jamais assez cette justice d’avoir sauvé le Paris historique.
Pour M. Barbier, le conservateur qui a vécu le départ de la Marine comme un déchirement, l’inquiétude demeure, non pas sur le devenir à long terme, mais sur la transition : avec la présence des quelque 400 marins de l’état-major plus le personnel d’entretien, la maintenance était quotidienne, de même que la surveillance. Que se passera-t-il dans ce musée rare car toutes les pièces sont meublées et comme habitées, avant que de nouvelles structures et un nouveau personnel d’entretien soient en place ? Ce sera la tâche du centre des Monuments nationaux.
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