L’oasis enchantée de Palmyre où les colonnes sont plus hautes que les palmiers, croisement de toutes les cultures et patrimoine de l’humanité, a survécu à des millénaires d’assauts, de pillages, de destructions, pour rester toujours debout au milieu des dunes de sable, défiant les pouvoirs et le vent. Le saccage des derniers barbares, nihilistes assassins des hommes, des idées et des monuments, n’y changera rien : Palmyre repoussera, comme je l’ai vu en quelques décennies.
C’est un paradoxe de l’archéologie syrienne, les archéologues syriens sont des experts enthousiastes et arrivent à exhumer et souvent rebâtir des ruines qui semblaient disparues. J’ai pu le constater sur la citadelle d’Alep où fleurissaient par surprise hammams et mosquées, au château de Saône aux remparts remontés, au Krak des chevaliers impeccablement restauré (jusqu’aux dernières destructions) mais aussi à Palmyre, où toute une partie du site antique reste à découvrir, en remontant vers la citadelle, et permet aux archéologues une redécouverte permanente.
En France il y a eu Viollet le Duc, dénoncé depuis comme reconstruisant au-delà du nécessaire et enjolivant les monuments, et de fait en Europe aujourd’hui on ne reconstruit plus mais on restaure a minima. C’est un débat qui se pose différemment en Asie, où les temples, pagodes et monuments sont toujours en fonction et la conservation ressemble plus à un entretien permanent, où l’on remplace tout ce qui doit l’être : des mosquées d’Ispahan au pavillon d’or de Kyoto, il n’y a pas de césure entre l’ancien et l’actuel. Ce sont les techniques ancestrales et artisanales qui sont toujours utilisées et permettent de respecter ce qui fut et continue à être, immuable dans le temps.
La capitale de la reine Zénobie appartient évidemment au passé, et le temple de Baal Shamin qui vient d’être partiellement ou totalement détruit par les analpha-bêtes n’était que le témoignage d’un culte très ancien, ou sans doute de plusieurs cultes puisque les pouvoirs successifs ont imposé leurs dieux, divinités palmyréniennes, romaines ou grecques. Mais les colonnades, le tétrapyle, les alignements sont là pour l’éternité, et la rage sauvage des derniers pillards ne viendra pas à bout de ce site. J’ai vu comme tout le monde les consternantes photos satellitaires du site de Palmyre rongé de trous : les fouilles sauvages des revendeurs d’antiquités, car les pseudo islamistes qui affirment détruire l’art païen revendent en cachette sur le marché international statues et fragments palmyréniens.
J’ai eu la chance de découvrir Tadmor en 1978, avant la construction du Méridien en bordure d’oasis. Le meilleur hôtel était le Zénobie, au seuil des ruines, mais il était encore trop cher pour mon budget d’étudiant en arabe, trimballant ses dictionnaires dans son sac à dos. Le guide que j’avais pris, Omar Kayem, d’une lignée de guides qui a continué après lui, m’avait pris en sympathie et invité à dîner chez lui. Dîner en tête à tête, les femmes de la famille restant à la cuisine jusqu’à mon départ, dîner passionnant où ce guide francophone m’a raconté deux mille ans d’histoire de Palmyre.
Grande Histoire et petites histoires toujours mêlées, Kayem m’a ainsi raconté ce matin de 1945 où la compagnie française de méharistes avait déserté avant le rassemblement, sur incitation des services britanniques. Après les Romains, Alexandre, les Perses, la conquête islamique, Palmyre a vu passer les Turcs, les Allemands, les Français, les Britanniques, pour finalement se retrouver syrienne et fière. Même si la fierté était teintée de souffrance, avec la présence d’une prison au-dessus de la ville où la famille Assad a fait périr des centaines d’opposants.
Cette fierté syrienne, incarnée par le directeur des antiquités Khaled al-Assaad, mort pour avoir refusé de livrer à des envahisseurs étrangers les secrets du passé syrien, c’est elle qui est la meilleure garantie de survie de Palmyre. Demain, quand le ressac aura emporté les analpha-bêtes et leur torrent de violence, et que ce torrent les emportera dans la même violence d’une population faisant la chasse aux envahisseurs, la ville et ses ruines retrouveront le silence et la sérénité millénaire qui les rendront à nouveau accessibles.
Après 1978, j’y suis retourné plusieurs fois entre 1980 et 1982 lorsque j’étais journaliste à Beyrouth, puis à nouveau en 2002 pour montrer à mes enfants ces terres d’une Histoire qui est la nôtre, du théâtre romain de Bosra aux ruines de Saint-Siméon, de la forteresse croisée d’Arwad au large de Tartous jusqu’à l’oasis de la reine Zénobie. Palmyre, comme une île placée entre le soleil levant et le soleil couchant, offrait les mêmes colonnades étirant leurs ombres historiques à l’infini sur le sable, un même spectacle renouvelé deux fois par jour et jamais lassant.
Victimes ou non de la rage destructrice des barbares, les informations sont encore incertaines, les tombeaux-tours de la vallée des tombes sont les gardiens millénaires de la Palmyre antique. Tombes verticales, où les notables étaient réunis par familles, sur plusieurs étages. D’autres tombes étaient souterraines, certaines ont été découvertes lorsqu’a été creusé le fossé du grand oléoduc Kirkouk-Méditerranée.
Visibles, non pas cachés, dressés à l’entrée et en surplomb de l’oasis, comme pour permettre aux défunts de jouir à jamais de ce paysage unique, ces tombeaux-tours seront aussi restaurés car les archéologues reviendront, les touristes aussi, et les enfants des écoles syriennes reviendront lire à livre ouvert les plus belles pages de leur histoire ancienne. Et à l’entrée de la ville, face au site archéologique, une statue de Khaled al-Assaad lui permettra de veiller à jamais sur ces vestiges pour lesquels il a tout donné.
Beau texte, belles photos et enfants chanceux d'avoir un père comme toi.
Rédigé par : Paul | 30 août 2015 à 00:34