On m’avait dit : faire de la voile au Havre c’est, au choix, de la brume ou du crachin, pas rigolo. J’ai tenté ma chance pour réviser le programme de la voile pour les nuls, un beau week-end de mi-septembre, et je suis revenu avec un fameux coup de soleil, du vent et de la mer plein la tête… A refaire !
Inscription très simple, le site de TML Voile signalé dans Voile Magazine, un type sympa au téléphone, pas de conditions spéciales ni de connaissances préalables. L’adresse ? Le numéro d’un ponton dans le port de plaisance (le dernier de la rangée de gauche, le plus éloigné) et le nom du bateau qui serait laissé ouvert vendredi soir : le Nomade.
Arrivée nocturne, le temps de sortir des embouteillages et des dernières pluies. Un port de plaisance à parcourir dans la pénombre, une lampe de poche pour arriver à identifier le bateau, pas évident. Heureusement la housse de grand voile portait le nom de l’association, TML pour Trans Mer Le Havre, un indice précieux. Personne, pas une lumière, il faut oser grimper sur le bateau, voir si la porte en plexi est ouverte : miracle, elle l’est ! Personne à bord, installation à tâtons, c’est plus facile avec une lampe frontale. Pas de clapot mais une lointaine sensation d’être bercé, le sommeil vient instantanément. Réveil matinal avec la fraîcheur de l’aube, le soleil se lève sur un port endormi.
Arrivent une, trois personnes, puis Alain notre capitaine : à cinq, l’équipage est complet ! Les préparatifs peuvent commencer, inspection du bateau pour les uns, courses au ravitaillement pour les autres. L’occasion de découvrir Nomade, un Sun Odissey 34.2 de Jeanneau, et les voiliers tout autour, les locaux et ceux venus de loin, Danois, Néerlandais, Néo-Zélandais : un petit goût du large. On largue les amarres en milieu de matinée, après un luxe de conseils, recommandations, repérage des gilets, baptême des voiles, des drisses, des écoutes, des winches, de tout ce qui servira à la manœuvre. Présence rassurante de la vedette orange de la société nationale des sauveteurs en mer.
Sortir du port du Havre c’est dépasser une jetée très haute. La hauteur n'a rien à voir avec des fortifications, l’explication est du côté des marées : c’est le seul port de la zone a être dragué en profondeur et en permanence, ce qui permet d’y revenir même à marée basse, d’où la hauteur des jetées. Alain nous a expliqué, en faisant les choix de navigation pour la journée : si on remonte au nord on peut arriver jusqu’à Fécamp mais il faut un peu de brise pour couvrir la distance ; sinon, en jouant entre vents et courants, c’est Deauville ou Dives, mais si on y passe la nuit il faut en repartir à 4 h 30 du matin avant la marée descendante, sinon on reste coincé… Pour un Méditerranéen, ces notions de mer qui monte et qui descend, de courants qui s’inversent avec la marée, sont intrigantes, voire dérangeantes.
On longe la plage du Havre, on passe sous Sainte-Adresse, quelques bords pour remonter un vent de Nord-Nord-Est. Temps idéal pour manœuvrer tranquillement et permuter les rôles.
Nous sommes survolés par un étonnant Nord 2501 Noratlas, dont la carlingue brille au soleil. Plusieurs fois il passe avec une portière latérale ouverte. Sans doute fait-il des baptêmes de l’air depuis le terrain situé sur la falaise au nord de Sainte-Adresse, mais il nous accompagnera pendant presque deux jours de navigation, avec le ronronnement tranquille d’un bimoteur, quelque chose qu’on n’entend plus.
Déjeuner de sandwiches dans le cockpit, pour ne pas mettre des miettes partout dans la cabine, mais comment ne pas savourer ce moment unique, les pieds bien calés à cause de la gîte, les yeux fermés sous la lumière éblouissante, en se laissant porter totalement ? En revanche, prendre son tour à la barre avec un sandwich est déjà moins pratique… mais c’est un moindre mal.
Après Antifer dont il faut traverser rapidement le chenal, emprunté par des pétroliers géants qui ne nous verraient sans doute pas, direction Etretat, dont nous découvrons l’arche et l’aiguille. Mais en longeant la falaise nous perdons le vent et finissons par faire demi-retour, on ne va quand même pas poursuivre au moteur.
Même de loin, l’aiguille d’Etretat est un monument émouvant, sculpté par le vent et la mer…
…et les falaises en couches géologiques superposées se lisent comme un livre, avec des tranches sédimentaires correspondants à des centaines de milliers d’années.
Retour vers Le Havre, pour arriver au coucher de soleil. Nous nous faisons doubler par deux remorqueurs, malgré le spi, et rejoignons la plage du Havre aux derniers rayons du soleil.
Le spectacle est somptueux, les vitres des tours d’Auguste Perret reflètent le soleil, la tour de Saint-Joseph est comme encadrée par les cheminées qui sont beaucoup plus loin. Pour regagner le port de plaisance, la foule des bateaux petits et gros contourne la drague en pleine action, on manœuvre à se frôler pour regagner le port de plaisance.
Contraste saisissant entre, de loin, le port de commerce et ses bateaux de croisière géants qui n’ont plus la grâce et la légèreté du France et le port de plaisance où, à cause de la marée basse, les piliers ont l’air d’avoir grandi de taille en quelques heures. Amarrage, rangement des écoutes, on rebranche l’eau et l’électricité sur le ponton et c’est déjà le dîner, avant de regagner chacun sa couchette et c’est fou ce qu’on s’endort vite après une journée en mer !
Réveil matinal – pour aller chercher les croissants du dimanche – passage aux douches très modernes du port de plaisance, et ce sont de nouveau les préparatifs de départ : débrancher l’eau en récupérant l’embout sur le robinet, débrancher le courant en ramenant le câble, mettre les amarres en simple tour, une check-list complète qu’on se répartit.
Dimanche, ce sont aussi les régates et nous laissons passer la vedette qui va installer les bouées, puis ce sont les petits dériveurs qui sortent en remorque, comme des canetons derrière la cane, la circulation est dense des voiliers qui tournent après la jetée pour se positionner au large de la plage.
Le ciel est aujourd’hui totalement dégagé, il y a à peine assez de vent pour les premières régates. Nous partons vers le nord mais cette fois en direction du large, dans l’espoir d’y trouver un peu plus de vent.
Navigation paisible, presque trop, on s’occupe en revoyant les manœuvres, on révise les nœuds, le barreur fait l’impossible mais le miracle ne vient pas, le vent continue à mollir.
Après un nouveau déjeuner à bronzer au soleil, on se croirait vraiment en Méditerranée, on croise à nouveau la bouée qu’on avait dépassée deux heures plus tôt, après une magnifique boucle à jouer avec le vent. C’est le calme plat, une mer d’huile, des plaques d’algue à la surface, sommes-nous partis si loin dans les mers du sud ? Il faudra revenir au moteur, à petite allure, une promenade du dimanche. La même foule de bateaux en contournant la jetée, les mêmes manœuvres d’approche, c’est fini on est de nouveau amarrés au ponton. Nouveau rangement, un coup de jet d’eau sur le pont, la serpillière dans la cabine, les sacs alignés sur le ponton, merci Nomade !
Au revoir Le Havre, et à bientôt ! Je reviendrai suivre les navigations de TML, pour un week-end ou mieux pour une sortie de cinq jours, le temps de partir plus loin, vers le Cotentin ou les côtes anglaises. Pour l’instant c’est le retour, un brin de mal de terre qui durera jusqu’au lundi matin et… les embouteillages.
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