L’île d’Elbe, choisie comme principauté pour permettre à Napoléon de garder ses titres de noblesse pour lui et sa descendance, selon le traité de Fontainebleau, l’accueillit le 14 avril 1814 pour une période de dix mois “pendant lesquels il organisa son retour en France”, affirme une encyclopédie en ligne qui adore les raccourcis : rien de tel que d’y retourner en période hivernale pour essayer de deviner les pensées secrètes du prince-empereur.
Quand le ciel se voile et que le bleu de la Méditerranée devient gris ardoise, que la houle est froide et que les jours sont plus courts, l’île d’Elbe n’est plus ce paradis aux eaux couleur turquoise qu’elle est pendant les mois d’été, quand les soirées embaument le jasmin et que l’air marin est d’une infinie douceur.
Le mieux est de gagner l’île à la voile, comme le fit l’Empereur parti de Fréjus, pour apercevoir l’île de loin, son Monte Capanne presque toujours coiffé d’un bonnet de nuages. Relief en gris et bleu, le maquis ne devient vert qu’à l’approche, comme la Corse plus à l’ouest, parfaitement visible sans les brumes de chaleur estivales.
Partis modestement du petit port de Salivoli (en haut à gauche), à la sortie de Piombino, plutôt que de Fréjus, sans escorte militaire et sans comité d’accueil de la population à Portoferraio, nous descendons sous un vent Grecale qui nous pousse tout droit vers la pointe nord-est de l’île, à côté du petit port de Cavo (au-dessus à droite).
Il faut ensuite passer le Capo Vita et se rabattre le long d’une côte escarpée et sauvage en profitant des rafales, sans risque de longer la côte car l’eau est ici profonde et sans récifs. C’est ensuite qu’on entre dans le golfe de Portoferraio, totalement caché aux vues du continent, ce qui a son importance dans l’histoire de l’évasion impériale.
En revanche la traversée du golfe se fait en calculant la trajectoire des navettes qui foncent tout droit et en vous évitant de vous poser la question de la priorité, car un code de navigation a peu de poids face à ces car-ferries imposants et qu’on ne sait jamais si Schettino, l'ex-commandant du Costa Concordia, a des cousins…
En dépassant le phare de Portoferraio sans aller jusqu’au port, on passe juste sous la résidence de Napoléon (déjà visitée il y a quelques mois), la Palazzina dei Mulini,ou petit Palais des Moulins car c’est effectivement une villa assez discrète pour un empereur, même déchu. Villa dominée par le fort Falcone et le fort de l’Etoile, bastions de cet empire en miniature. La résidence de l’empereur donnait sur le littoral toscan, au nord-est, et tournait donc le dos aux terres françaises de la Corse à l’ouest.
De sa terrasse et de son jardin, Napoléon pouvait ainsi contempler le Scoglietto, le petit récif et, plus loin, sans voir la ville de Piombino, la presqu’île de Populonia et la côte remontant de San Vicenzo vers Livourne. Une vue paisible mais forcément monotone. Et aussi un plan d’eau, celui de la baie de Portoferraio, où pouvaient se faire des préparatifs hors de toute vue de la côte italienne.
Poursuivant vers l’ouest et passé le cap d’Enfola, avec ses grottes sous-marines, on entre dans une autre baie protégée avec la plage de Viticchio et la baie de la Biodola, juste avant Procchio. Des eaux calmes et abritées qui invitent à se baigner dans la fraîcheur relative, un paysage vidé de toute présence touristique après la période estivale.
L’absence de toute présence humaine donne aussi une idée de ce que devait être la vie de la principauté impériale, malgré l’activisme de son souverain occupé – officiellement – à dessiner un drapeau, faire une Constitution, refaire le cadastre et tracer une réforme agraire. Les soirées d’hiver devaient être longues, et la salle de bal de la villa des Mulini ne devait pas suffire à maintenir une ambiance comme celle qu’avait connue la cour impériale avant l’exil, pas plus que celle de la Villa Demidoff, la résidence impériale d'été. Il n’est donc pas difficile d’imaginer qu’il y pensait tous les jours, à ce retour en France.
Retour en remontant le vent, un vent qui malheureusement faiblit. Dans les contre-jours, la côte nord de l’île semble de plus en plus sauvage, la partie construite et habitée de la baie de Portoferraio reste en effet cachée de l’extérieur.
Un salut en repassant au large de la résidence impériale, laissant au loin la route des ferries, et le voilier reprend le cap du littoral toscan, en espérant échapper aux navires anglais qui surveillent Napoléon et sa garnison. Mais, surprise, ce n’est pas une frégate anglaise qui croise notre route, c’est l’étonnant trois mats “Signora del Vento”, la dame du vent.
Ce n’est pas l’Hermione ou une autre réplique de frégate historique, mais un trois-mâts des années 1960 qui a servi de navire-école avant de devenir un bateau de croisières d’entreprise, offrant à la fois les structures d’un voilier traditionnel et des infrastructures de bateau de croisière avec salles de réunion, cuisines, restaurant, etc.
L’île défile, sa côte nord s’allongeant de plus en plus à mesure que le vent mollit, et le continent semble au contraire s’éloigner, ce qui permet de savourer la quiétude du paysage avant finalement de s'éloigner de l'Elbe et de l’îlot de Palmaiola.
Pas de dauphins, pas de voiliers, plus de ferries, pas de pêcheurs : le canal de l’Elbe prend des airs d’océan, des airs de grandeur impériale, sans doute est-ce l’évocation de ce souvenir de l’Histoire qui donne une solennité soudaine à l’environnement.
Le soleil se couche enfin sur l’île d’Elbe, Napoléon quitte son exil le 26 février 1815 à l’insu des Anglais, à bord du brick L'Inconstant, et débarque le 1er mars à Golfe Juan pour une épopée de Cent jours, mais c’est une autre histoire. Sans doute regrettera-t-il l’Elbe en découvrant Sainte-Hélène où l’amène le Bellérophon, mais certainement pas de s’être évadé, puisqu’il venait d’apprendre que le Congrès de Vienne avait décidé de déplacer sa résidence pour un exil plus lointain.
Le retour à Piombino se termine au moteur, le vent ayant décidé de se coucher lui aussi. Mais c’est une occasion supplémentaire de jouir du paysage grandiose avec une île d’Elbe qui se découpe en plans successifs avec la masse du monte Capanne, et sur l’horizon la silhouette du Cap Corse que l’on distingue encore.
Superbe !
Merci Pierre
Rédigé par : Paul Laporte | 22 octobre 2015 à 23:21