Dans « Femmes contre Daech », film documentaire de 55' de Pascale Bourgaux, un groupe de combattantes kurdes occupe le terrain, quelque part au nord de la Syrie, face aux groupes armés de Daech. Ce ne sont pas des femmes dans des groupes d'hommes, mais bien des unités homogènes de femmes en armes, qui ont choisi le combat de la liberté. De toute la liberté : au-delà des forces noires du prétendu califat, contre lesquelles elles risquent quotidiennement leur vie, c’est d’abord de la liberté de la femme et de la patrie kurde qu’il s’agit.
L’équipe de Pascale Burgaux suit Viyan, jeune kurde de 25 ans engagée dans un petit groupe de combattantes des Unités de protection du peuple (YPG), qui ont fait leurs preuves en participant à la libération de Kobbane et vont poursuivre et repousser peu à peu les forces de Daech jusqu’aux alentours de Raqqah, la capitale du califat en Syrie. La réalisatrice nous explique son combat, d’abord pour trouver des soutiens à la réalisation de ce projet, et elle remarque drôlement, en présentant lundi le film à la ministre de la culture Audrey Azoulay, qu’en France “il est plus facile aujourd’hui de faire un film sur Daech qu'un film sur ceux qui se battent contre Daech” et ajoute: “nous avons un ennemi qui occupe tout l’espace médiatique, on le montre comme invincible alors que ce n’est pas vrai”.
Elle raconte son combat aussi pour arriver jusqu’au nord de la Syrie, pour se faire accepter par ces combattantes et entrer dans le quotidien de leur guerre. Un combat qu’elle a réussi notamment grâce à toutes les femmes qui l’ont soutenue et accompagnée dans ce projet, des responsables de La Chaîne Parlementaire aux co-productrices Fabienne Servan-Schreiber et Estelle Mauriac en passant par toutes les techniciennes de tournage, les monteuses, les petites mains qui ont participé à ce combat – et quelques hommes quand même, responsables de chaînes (TV5 Monde, RTS, FR3 Corse) et surtout le Syrien Saïd Mahmoud, réalisateur en exil qui a facilité leur aventure chez les “amazones kurdes”.
Les paysages sont les collines sèches et désolées du nord de la Syrie, jusqu’à la vallée de l’Euphrate, avec des combats de proximité de village à village, des femmes courageuses et souvent frêles qui manient les armes comme des hommes, qui s’entraînent et s’organisent entre elles, s’autorisant des pas de danse collective dans les ruines pour se donner de l’entrain et répondre de loin à l’interdiction portée par Daech contre tout ce qui est chant et danse.
C’est cela que montre le film, le combat de femmes qui ont quitté leurs familles, qui ont renoncé à avoir mari et enfant pour se consacrer à cette guerre de libération à égalité avec les hommes. Rien d’impressionnant, sauf leur détermination, une apparence de fragilité démentie par leur endurance. C’est cela qu’a voulu montrer Pascale Bourgaux, que face à un ennemi qui n’est pas invincible, “il y a des nanas en basket qui par milliers se battent tous les jours et font reculer Daech”.
Révélateur du patriotisme transverse des Kurdes, le passage où les très jeunes combattantes, souvent analphabètes, suivent des cours d’écriture et de politique. La langue kurde est enseignée en alphabet latin, comme le turc, et les drapeaux des YPG, branche armée du parti de l’union démocratique kurde syrien (PYD), rappellent les couleurs du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan - turc) tandis que les grands portraits au mur, à côté des martyrs tombés à Kobbane et dans la région, sont ceux d’Apo, le leader du PKK Abdullah Öcalan.
Un moment d’émotion particulier qui montre combien ces combattantes sont proches, et combien leur adversaire est le nôtre, c’est lorsque les combattantes du groupe regardent les actualités télévisées et observent une minute de silence pour les victimes des attentats de Paris.
Autre film plus ancien, autre décor beaucoup plus verdoyant, mais une même originalité dans le combat des femmes kurdes pour leur liberté, pour la liberté de toutes les femmes. Dans "Les Carnets d'un combattant kurde", film documentaire de 79' (Jacques Bidou, JBA production) de l'Italien Stefano Savona (2006), la marche des combattantes depuis le Kurdistan irakien jusqu'à la frontière turque à travers les montagnes escarpées a le souffle d'une épopée, avec de jeunes garçons et filles kurdes déracinés qui portent leur pays dans leur cœur et partent pour un combat dont ils savent qu'ils ne reviendront sans doute pas.
Kurdes d'Irak, de Syrie ou de Turquie, dans la montagne les femmes kurdes sont d'abord libres et franchissent les frontières comme les torrents et les falaises abruptes, leur chemin serpente et monte toujours plus haut vers le ciel. Ce groupe appartient au PKK, il en brandit le drapeau et se réfère au « Président Apo », Abdullah Öcalan. Mais il n'est sans doute pas très différent des groupes armés de Kurdes syriens et irakiens, avec le rôle particulier aux femmes ou plutôt pris par les femmes elles-mêmes.
Femmes jeunes mais déterminées, dont beaucoup ont déjà connu la prison, femmes dont le combat n'est pas purement politique ni même religieux mais philosophique, on s'étonne de voir des guerriers ordinaires avoir un tel niveau de conversation, mais c'est justement parce qu'ils ne sont pas ordinaires, ces jeunes exilés revenus d'Allemagne ou d'ailleurs en Europe pour retrouver les vraies racines de leurs ancêtres, comme Siam et Akif, venus d'Allemagne où ils ont grandi. Akif est justement celui qui tient ses carnets, le récit d'une expérience à laquelle il mettra un terme après le film.
Des racines très lointaines, dans le temps et dans l'espace. Comme ces ceintures très longues nouées autour de la taille avec une infinie patience, comme dans les rites zoroastriens. Comme cette référence étonnante, et plusieurs fois répétée, à l'époque du néolithique “où les femmes étaient l'égale de l'homme”.
Un féminisme militant, marqué par la lecture des pensées du président Apo qui condamne le machisme et la brutalité des hommes, et par la scène du serment prononcé par le groupe des nouvelles combattantes de toujours lutter pour “l'émancipation des femmes et l'éducation des hommes”.
Difficile de prédire ce que deviendra cette région morcelée entre la Turquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran, et si le Kurdistan deviendra jamais un pays indépendant ou s'il ne connaîtra que de brèves apparitions comme les éphémères républiques d'Ararat en Turquie (1926) et de Mahabad en Iran (1946). Si en Syrie et en Irak elles se battent contre Daech alors qu’hier elles se battaient contre Saddam Hussein et Bachar el-Assad, une chose est certaine, le combat des Kurdes ne cessera pas avec l’évolution des conflits locaux, sans oublier leur combat contre le régime d’Erdogan. Une chose en tous cas restera, c'est ce combat spécifique des femmes avec son exemplarité particulière dans une région et un monde où la régression politique et culturelle se fait d'abord au détriment des femmes. Ne serait-ce que pour cela, leur combat est universel.
Ces valeurs universelles, c’est celles qui poussent d’autres femmes à suivre l’exemple des combattantes kurdes pour prendre les armes et s’organiser. Dans le film de Pascale Bourgaux, l’une des responsables évoque à la fin le projet d’offrir à des Syriennes arabes la possibilité de former leurs propres unités, à l’instar des femmes kurdes. On a vu aussi en Irak les femmes yazidies s’organiser à l’instar et avec le soutien des peshmerga. Depuis le néolithique, les femmes ont encore bien des revanches à prendre sur des millénaires de frustrations.
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