Elles sont sur toutes les cartes postales, sur tous les carrefours touristiques, se font photographier sous tous les angles et font partie du quotidien des Cubains à travers l’île entière : ce sont les grosses voitures américaines des années 1950, celles “d’avant” la révolution de 1959 et de l’embargo qui a depuis interdit l’importation d’autres voitures du même standard.
Evidemment ce sont les plus rutilantes qu’on remarque, berlines ou cabriolets décapotables aux chromes et à la peinture refaits qui sillonnent le Malecon pour le bonheur de ceux qui se font transporter comme de ceux qui les regardent passer. Le rendez-vous habituel des taxis “oldies” est sur la petite place qui ferme le Parque central juste en face du Grand théâtre, ou à la sortie de la Plaza de Armas vers la baie, mais les propriétaires se donnent rendez-vous entre eux tous les dimanche matin avant le tunnel de Miramar.
Les plus nombreuses sont les Chevrolet, mais on trouve aussi des Ford, des Buick, des Dodge, des Chrysler, plus rarement des De Soto et des Mercury. En majorité des berlines, mais donc aussi des cabriolets et même des breaks, ces station-wagon kilométriques qu’adorent les Américains qui n’ont pas de problème pour tourner court dans de petites rues… mais qui arrivent à passer dans les ruelles cubaines.
La longévité de ces voitures a une explication triple. La première est la robustesse de ces voitures faites pour durer et pour rouler dans des conditions dures et sans préoccupation de consommation avec une essence à bas prix comme cela se faisait autrefois aux Etats-Unis (et encore aujourd’hui, comparé aux prix européens à la pompe).
Moteurs de très grosse cylindrée avec de la puissance à bas régime, commandes entièrement mécaniques et organes proportionnés, pas d’automatismes et peu d’électronique, ces voitures étaient faites pour défier le temps et l’espace, et les innombrables voitures de la production du bloc socialiste, russes, tchèques et est-allemandes, font beaucoup plus vieilles avec deux fois moins d’âge.
Pour arriver à les faire tenir, il a fallu beaucoup de mécanique et de mécaniciens. Passionnés ? Non, me répond Manuel, chauffeur de taxi, pas passion, nécessité : quand il manque une pièce, on la refait, faute de pouvoir la commander. Beaucoup de débrouillardise, beaucoup de ténacité, beaucoup de solidarité aussi ; quand une voiture tombe en panne, il y a toujours un conducteur pour donner un coup de main, aider à changer une roue ou plonger sa tête sous le capot immense.
La deuxième explication est légale: le plus dur dans la Cuba socialiste n’est pas de posséder une voiture mais une licence, l’équivalent de la carte grise. Autant dire qu’une voiture avec une licence ne peut pas disparaître, et qu’on va faire des miracles pour la faire durer, quitte à cannibaliser celles réduites à l’état d’épave.
Car il y en a, même à La Havane, définitivement statiques sur le bord d’un trottoir, et transformées en élément décoratif de mobilier urbain, enseigne touristique ou simple point de repère.
La troisième explication est plus récente, mais de plus en plus importante. L’arrivée des touristes et leur engouement pour ces voitures qui partout ailleurs valent des fortunes sur le marché des collectionneurs a permis aux Cubains de prendre conscience de la valeur de leurs véhicules. Très honnêtement, et sans entreprendre de voyager sur de longues distances car les amortisseurs ont depuis longtemps fini d’amortir, un tour à travers La Havane en décapotable américaine est un luxe très accessible, d’autant que le tarif est forfaitaire et se discute à l’avance, comme du reste pour les taxis normaux. Mais on peut aussi faire de courtes promenades avec celles qu’on rencontre partout, comme ci-dessus dans la région de Vinales, mais aussi à Pinar del Rio, Cienfuegos ou Trinidad, partout où passent désormais les touristes.
Rodrigo, rencontré à Trinidad et propriétaire d’une superbe Mercury pratiquement refaite à neuf, m’explique que sa famille a acheté la voiture il y a onze ans, et que c’est le taxi avec lequel il travaille quotidiennement. Vu la qualité et l’état du véhicule, on se doute qu’il doit être réservé tous les jours. Le kilométrage ? Plus de cent mille ? Aucune idée, me répond-il, mais c’est certainement plusieurs centaines de milliers puisqu’elle date de 1948 – et de toutes façons le compte-kilomètres est mort.
Moteur d’origine recomplété à neuf au fur et à mesure, intérieur impeccable, il n’y a que le double klaxon à trompe posé sur le capot moteur qui ne marche pas - pour l’instant : pièce introuvable, mais il cherche…
Autre rareté croisée à Trinidad, cette De Soto de 1950, encore utilisée quotidiennement comme taxi entre La Havane et la province, dans un état étonnant d’entretien plus que de restauration : tout à l’air d’origine. Il faut souhaiter qu’avec la levée prochaine de l’embargo, ces belles Américaines soient classées et restent dans le patrimoine cubain, pas tellement pour leurs propriétaires eux-mêmes que pour le plaisir des touristes ! Cette belle Chevrolet couleur framboise, rencontrée sur la presqu’île d’Ancon, ne peut pas se trouver ailleurs que dans un tel paysage de carte postale, avec ciel bleu tropical et palmiers…
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