La Havane n’est pas rouge, malgré un vernis qui commence à jaunir au bout d’un demi-siècle de révolution. Elle est multicolore, avec une richesse créative exceptionnelle pour cacher la misère sous des litres de peinture, ou mieux encore avec un sens artistique luxuriant qui s’inspire des couleurs d’une nature tropicale et éclatante.
C’est dans les rues les plus pauvres de la vieille Havane, celles qui n’ont pas encore fait l’objet de la restauration systématique entreprise entre la rue Obispo, la cathédrale, la plaza de Armas et la place Saint François d’Assise, où tous les édifices anciens sont repeints de couleurs fraîches, qu’on découvre ces tableaux d’un art contemporain festif et spontané.
Le contraste est très fort entre ces façades riantes et ce qu’elles cachent, ou ce qu’elles ne cachent plus car parfois l’intérieur s’est écroulé. En fait, c’est dans la proximité du Malecon qu’on voit le plus d’édifices à demi effondrés ou en cours de démolition : on devine la multiplication des programmes de réhabilitation du bord de mer, avec l’afflux de touristes qui dépasse désormais les capacités d’accueil de la capitale, malgré le nombre de “casas particulares”.
La couleur est partout, avec du pastel pour les façades classiques mais une débauche de teintes plus criardes pour les constructions populaires. Bleu turquoise, jaune canari, rouge framboise, rose glace à la fraise, on y va sans complexe et sans contrainte. Même ce buste ancien de jeune duègne espagnole, sur une façade au coin d’Oficios et d’Obras Pias, a été colorié au goût du jour. Ou était-il déjà en couleurs au XVIIIe siècle ? Ici, rien d’impossible à cette omniprésence de la couleur.
Moins présent qu’au Mexique, l’art des Murales sacrifie principalement au culte du Che, avec une grande monotonie, et le manque d’originalité ne mérite pas qu’on s’y attarde. En revanche l’esprit cubain et la créativité graphique se retrouvent en-dehors de l’art officiel (à retrouver quand même au Musée de la Révolution et au musées des Beaux-Arts pour les plus belles affiches, notamment celles de Ramon Martinez), dans des caricatures ou des tags célébrant les musiciens et artistes de la nouvelle génération.
Mais c’est dans l’endroit le plus improbable qu’on trouve la manifestation exacerbée de l’inventivité mêlant idéologie marxiste, traditions afro-cubaines et inspirations religieuses les plus diverses.
Cela se passe au Callejon de Hammel, une ruelle entièrement peinte et décorée de fresques et de sculptures avant-gardistes, entre San Lazaro et Aramburu. C’est l’œuvre personnelle du muraliste cubain Salvador Escalona, héritier de Siqueiros et du douanier Rousseau…
Célébrité mondiale mais d’abord locale, le peintre-sculpteur a réalisé dans cette rue préservée bordée d’immeubles en mauvais état une sorte de temple à ciel ouvert, avec des objets se rattachant à la Santeria, mais aussi des symboles ne se rattachant à rien, comme ces baignoires dressées dans des cadres de portes. Chacun peut y trouver la signification de son cru, mais on peut aussi se contenter d’apprécier les formes et les contrastes sans y chercher de message ésotérique.
Caution universelle, le père de la première révolution cubaine José Marti veille sur le site qu’il légitime par sa présence, encadré de deux colonnes grecques et d’un drapeau cubain, avec une citation sans doute au second degré : “art je suis parmi les arts, et dans les monts je suis montagne”.
Sur une des parois, un florilège de citations de l’artiste lui-même, à livre ouvert : “la religion est aussi vieille que l’art, et l’art est aussi vieux que l’homme – Le poisson ne sait pas que l’eau existe – Le propriétaire de ce lieu est l’humanité entière, son créateur s’appelle simplement Salvador”…
Dans une salle au fond d’une petite cour, des hommes et des femmes en blanc sont réunis avec des paniers de fruits et des fleurs. Préparation d’un rite de Santeria ? Plus loin des jeunes demandent à être payés pour se faire prendre en photo. Un autre rite, celui du dieu CUC, la monnaie convertible. C’est parfaitement naturel, maintenant que le lieu commence à être envahi par des touristes. Mais on peut traverser des quartiers encore déserts où il y a autant de découvertes en couleurs à faire !
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