La visite historique à Cuba de Barak Obama, venu en famille avec sa femme, ses filles et sa belle-mère, a été suivie à la télévision mais n’a pas eu le retentissement visible que pouvaient en espérer nombre de Cubains en attente d’ouverture politique : pas de bain de foule, juste un cortège qui passe, une conférence de presse maîtrisée, peu d’annonces concrètes. Petit symbole, un T-shirt à l’effigie d’Obama avec marqué Cuba, vu à la télévision, est resté introuvable : un vendeur finira par m’avouer que certaines choses, ici, ne sont pas autorisées et que ce T-shirt venait de l’extérieur. On se contentera des T-shirts à l’effigie du Che.
Les spécialistes spéculent pour savoir si le président américain n’a pas demandé à rencontrer Fidel Castro, comme l’écrivent certains journalistes, ou si celui-ci n’était pas en condition physique de le recevoir. Dans une interview à ABC en fin de voyage, citée par Granma, le “président étasunien” a répondu : « Je serais heureux de le rencontrer en symbole de la fin… de la Guerre froide ». Mais cela n’empêche pas qu’Obama a mis fin à une rupture de plus d’un demi-siècle et a traité de pays à pays avec le général Raul Castro, président cubain.
Certes, Raul n’était pas à l’aéroport pour le recevoir (il le raccompagnera à son départ) et le président américain a donc été reçu par le ministre des affaires étrangères dans une atmosphère détendue et très informelle, il est vrai sous une pluie battante. Mais cette première partie de la visite était bien informelle : Barak Obama a visité dimanche après-midi la vieille Havane entre la Plaza Vieja, la Plaza de Armas et la cathédrale, accompagné du cardinal Jaime Ortega, conseiller de la Commission pontificale pour l’Amérique latine.
A la cathédrale de la Havane, devant un petit rassemblement de fidèles, également présents sur la place malgré la pluie (photo © Carlos Barria/Reuters), il a rendu hommage au rôle de médiateur joué par le pape François pour permettre ce rapprochement américano-cubain. A noter que sur tout le parcours de la cathédrale à la Plaza Vieja, la chaussée avait été refaite, les pavés manquants remplacés et les façades repeintes.
Juste à côté de la cathédrale, le seul poster visible de bienvenue au président américain avait remplacé celui, présent jusqu’à la veille, de bienvenue au pape François. Mais ce dernier reste encore visible depuis le haut de l’église de la Reina, l’église de la compagnie de Jésus. Comme un clin d’œil du pape jésuite…
La partie officielle était pour le lendemain, avec honneurs militaires au pas de l’oie sur la place de la révolution, gerbe de fleurs au monument à José Marti puis entretien avec le président Raul Castro et plusieurs ministres, suivi de l’exercice exceptionnel de la conférence de presse. A ne pas rater, la superbe galerie photo mise en ligne par “All Eyes” de Tampabay.com, de même que la section “Big Picture” du Boston Globe.
Le téléspectateur cubain a eu droit aux longues réponses de Raul Castro, et à des réponses de Barak Obama retardées par la traduction. Mais l’intégrale de la conférence de presse et des discours a été publiée dès le lendemain par le quotidien officiel Granma et mise ensuite en ligne avec traduction sur le site de Granma. Rien n’a été coupé, y compris la précision de l’attachement américain à “la démocratie, la liberté d’expression, d’association et de culte”, et l’insistance sur le fait qu’on ne peut pas séparer les droits politiques, économiques et sociaux.
A une question répétée sur les droits de l’homme, Raul répond imperturbablement que Cuba les respecte tous, à commencer par la santé gratuite pour tous et l’éducation gratuite pour tous, en se tournant vers le président américain. Et à une autre question sur les détenus politiques, il s’indigne : on me demande de parler des détenus politiques mais pouvez-vous me citer un seul nom ?
Puis il regarde sa montre et emmène son interlocuteur, surpris mais toujours souriant. La rencontre avec les opposants qui se déroule le lendemain à l’ambassade des Etats-Unis, racontée par le journaliste du Monde Paulo Paranagua, restera ignorée de l’opinion cubaine, ce qui ne sera pas le cas de la rencontre avec les acteurs économiques cubains et investisseurs américains.
La version officielle de la presse, ou la version de la presse officielle, ce qui revient au même vu qu’il n’y a que Granma, Juventud Rebelde et leurs avatars régionaux, insiste sur le fait que “beaucoup pourrait être fait si les Etats-Unis levaient le blocus” et sur le fait qu’Obama l’a demandé au Congrès américain qui seul peut décider, en fonction des progrès réalisés dans l’île sur les droits de l’homme. Ce qui, relève l’éditorialiste de Granma dans le même numéro spécial de 16 pages sur la visite d’Obama (contre 8 habituellement), contredit l’affirmation du président américain que l’avenir politique de Cuba doit être décidé par les Cubains aux-mêmes.
A signaler qu’à l’occasion de ce dégel américano-cubain, a été inauguré le premier vol postal entre Etats-Unis et La Havane, qui devrait s’élargir à d’autres villes de Cuba. C’est un symbole fort également, et qui laisse penser que la voie est ouverte à la pose d’un câble sous-marin pour les télécommunications. Ce qui serait la clef pour l’accès de l’île à l’Internet, évoqué par Barak Obama dans son discours, aujourd’hui totalement limité. Un accès que les Cubains attendent et d’abord les jeunes qui s’expriment déjà sur le Net et s’informent plus facilement que dans la presse officielle.
Enfin, avec ou sans levée totale de l’embargo, l’un des sujets majeurs est la libération du tourisme direct américain à Cuba, sous deux aspects évoqués par les deux délégations, l’accès des paquebots américains aux ports cubains, et l’arrivée du loueur virtuel AirBnB, qui provoquera une accélération spectaculaire du système actuel des Casas particulares. Avec la présence ces derniers jours à La Havane du paquebot français MSC Opéra, qui a débarqué mille à deux mille touristes d’un seul coup, c’est la perspective demain d’avoir des dizaines de milliers de touristes supplémentaires tous les jours, les Canadiens y viennent déjà en week-end. L’ouverture est en marche, en tous cas sur ce plan-là…
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