Un vrai roman policier au cœur des territoires djihadistes du Sahel, avec de vrais personnages et une superbe histoire vécue de manuscrits sauvés, c'est la fabuleuse saga du sauvetage des manuscrits de Tombouctou que nous offre le journaliste américain Joshua Hammer. (ci-dessus Photo 2006 Sébastien Cailleux. via The Guardian). Publié aux Etats-Unis sous le titre “The Bad-Ass Librarians of Timbuktu” (“Ces libraires dingues de Tombouctou”, chez Simon & Schuster), et prochainement publié en France (“Les résistants de Tombouctou”, chez Arthaud), ce roman est l'aboutissement d'une patiente enquête de plusieurs années commencée au Mali, poursuivie en Europe et aux Etats-Unis et reprise au Mali dès la libération de Tombouctou par la brigade Serval.
Une enquête sur une histoire qui, en réalité, s'étend sur plusieurs siècles. Depuis des générations, les habitants de cette capitale intellectuelle et religieuse de la bande saharao-sahélienne luttent pour préserver leur patrimoine, un véritable patrimoine de l'humanité : des centaines de milliers de manuscrits coraniques et de traités scientifiques enluminés, annotés et complétés par des générations de scribes, de sages, de philosophes et de chercheurs. L'histoire avait été racontée une première fois dans les années 1980 et 1990, c'était celle du regroupement à Tombouctou de tous les Corans et manuscrits cachés dans le désert par les tribus et les familles, à travers les générations, dans des caches et des grottes, une tradition qui a permis au patrimoine intellectuel de la région de survivre à des dizaines d'occupation venues du Maroc, du désert, des guerres coloniales et des conflits les plus récents.
Cette première traque, raconte le journaliste américain, c'est l'histoire personnelle d'Abdel Kader Haidara, désigné malgré lui le légataire d'une fonction tenue par son père : réunir et préserver les écrits, ceux de sa famille comme ceux de toute la ville. C'est en 1964 que l'UNESCO s'est pour la première fois intéressée aux manuscrits de Tombouctou, organisant un colloque sur place et finançant l'édification d'un centre de recueil et de conservation de ces manuscrits, l'Institut Ahmed Baba de hautes études et de recherches islamiques. Mamma Haidara, le père d'Abdel Kader, commença à rechercher des manuscrits dans les familles de la ville, faisant du porte à porte pour les persuader de confier leurs trésors à l'Institut, pour les faire expertiser, restaurer et conserver dans les meilleures conditions techniques.
Abdel Kader à son tour, quoique réticent au départ car il se destinait au commerce, élargit la recherche en parcourant toute la région entre le Niger et le désert, allant de plus en plus loin pour recueillir, à force de persuasion, les manuscrits que leurs propriétaires acceptaient de confier à la Fondation. Sa conviction s'affermit avec sa connaissance de ce qu'il découvrait, les traces de l'âge d'or de Tombouctou, ville au rayonnement exceptionnel dans le monde islamique comme le raconte Joshua Hammer, jusqu'à l'occupation marocaine de 1591 et jusqu'en 1660.
L’auteur rencontre Haidara en 2006, alors qu’il est déjà connu à travers le monde pour son travail de patiente collecte des manuscrits et de création de bibliothèques dans Tombouctou pour les conserver (Abdel Haidara et ses manuscrits en 2009. New Republic). Un travail vers le désert pour recueillir l’héritage, mais aussi vers le reste du monde pour obtenir le financement du titanesque travail de collecte, de regroupement et de restauration. Tombouctou rayonne alors et devient un cœur touristique et culturel du désert.
l’auteur raconte aussi l’émergence de ces guerriers fanatiques qui vont déferler sur le nord du Mali, conjonction hétéroclite mais redoutable d’intégristes algériens, d’indépendantistes touaregs et de tous les trafiquants de la région. Un élément déstabilisant pour le Mali sera le départ pour la Libye de militants touaregs partis défendre Kadhafi et qui quitteront la Libye en pleine explosion avec des colonnes de camions chargés d’armes. Les personnages connus sont Abou Zeid, Mokhtar Belmokhtar et Iyad Ag-Ghali : Joshua Hammer retrace fidèlement l’itinéraire de ceux qui voudront faire de Tombouctou une capitale islamique.
Tout le travail de collecte des manuscrits et leur regroupement à Tombouctou va les fragiliser à l’extrême lorsque la ville tombera aux mains des fanatiques qui détruisent les mausolées, pillent les bibliothèques, incendient tout ce qu’ils trouvent. Près de 4.000 manuscrits seront livrés aux flammes (Photo Marco Dormino. PBS.org). C’est la seconde partie du livre, aussi angoissante que la première, le travail clandestin d’emballage des manuscrits dans les bibliothèques, la sortie de la ville de toutes ces malles au nez et à la barbe de la police islamique, le lent convoi qui, nuit après nuit, à travers le sable puis sur le fleuve Niger, va mettre à l’abri ce trésor jusqu’à Bamako : quelque 350.000 manuscrits sauvés pour l’humanité !
L’occupation de la ville, les horreurs commises par les islamistes, le délitement de l’Etat malien ; puis l’appel à la communauté internationale, l’intervention française début 2013, la libération de Tombouctou par la brigade Serval, tout est fidèlement raconté, grâce aux témoignages précis recueillis également auprès des militaires français dont le général Barrera, chef de la brigade Serval qui ira déloger les terroristes jusque dans la vallée de l’Amettettaï, et que Hammer viendra interviewer en France avec ses principaux lieutenants.
Un travail d’historien avec le suspense d’un roman d’action, des descriptions très visuelles, les manuscrits au centre de l’action : on imaginerait bien un film pour l'histoire émouvante de ce sauvetage, quelque part entre “Le nom de la rose” et “Timbuktu”… En tous cas une lecture qui vaut la peine, à partir du 15 mai en français.
The Bad-Ass Librarians of Timbuktu, Joshua Hammer, Simon & Schuster.
Les résistants de Tombouctou, Arthaud.
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