Stelio Montomoli, responsable politique, syndical et économique de premier plan à Piombino, est parti le 2 juin à 73 ans, emporté par un long cancer, et salué par la presse locale comme un notable local avec une discrétion qui convenait parfaitement à son style. Mais derrière le notable se cachait, avec la même discrétion, un écrivain et historien étonnant qui a laissé une dizaine d’ouvrages dont six consacrés au passé étrusque de cette région de Toscane.
Refusant de se faire appeler “Dottore”, Montomoli m’avait expliqué malgré sa production littéraire qu’il était autodidacte et n’avait aucun diplôme universitaire justifiant ce titre. Né dans la voisine Campiglia Marittima dont son père avait été maire communiste de nombreuses années, Sergio est né l’année de la chute du fascisme en 1943 et a grandi dans l’esprit de la résistance et dans les succès du PCI des années d’après-guerre.
Témoin puis militant, il grandit dans cette Toscane rouge (le PCI a été créé à Livourne) de villes ouvrières où les ouvriers sont aussi chasseurs et pêcheurs, et où certaines familles sont traditionnellement des fouilleurs de tombes. Entre la clandestinité de la résistance et de la lutte antifasciste du PCI, et l’illégalité des tombaroli, c’est toute une atmosphère de mystère qui va l’imprégner et lui donner l’envie plus tard de raconter ces histoires de secrets qui s’étendent ici sur deux millénaires.
Mais d’abord homme d’action, il adhère au PCI à 24 ans, en 1967, et rejoint l’usine sidérurgique de la Magona à Piombino, où il devient rapidement délégué syndical (photo M. Tortolini), puis délégué régional de la fédération métallurgie de la CGIL (FIOM-CGIL). Après les années de plomb c’est l’évolution historique du PCI vers le PDS, dont Montomoli sera secrétaire de section de 1990 à 1997.
Il devient ensuite secrétaire de l’autorité du port de Piombino et après sa retraite se voit confier la présidence de la société Toremar qui assure les navettes entre Piombino et l’île d’Elbe : une responsabilité qui suscitera des critiques de la part d’anciens camarades, mais pour laquelle il est légitime ; car devenu entretemps l’historien de la sidérurgie étrusque, il symbolisait parfaitement le lien historique entre le port du fer (Portoferraio) et la ville de l’aciérie géante de Piombino.
La vocation littéraire le prend tardivement, à 61 ans : il publie un premier roman en 2004, “Di giorno e di notte” (246 pages, Prospettiva Ed.), pour raconter l’histoire vraie, mais forcément masquée, de ses camarades d’usine qui sont ouvriers le jour et tombaroli la nuit, allant à la recherche de trésors cachés, une forme non marxiste de revanche du prolétariat… L’authenticité de son récit, où sans doute certains se reconnaissent, suscite l'intérêt de nombreux lecteurs qui demandent la suite.
C’est parti pour un cycle étrusque, avec d’abord “La tomba del Lucumone” en 2006 (194 pages, Prospettiva Ed.) : à travers les aventures nocturnes de ces ouvriers-tombaroli, c’est la découverte d’un personnage étrusque, Akel, et de ses amours contrariées avec la belle Liula, à travers une enquête pour retrouver et réunir les dépouilles de ces deux amoureux séparés depuis deux millénaires. Puis vient “Intrigo etrusco” en 2007 (133 pages, Prospettiva Ed.) où l’on revient sur la vie d’Akel avec une véritable enquête policière entre Tarquinia, Volterra et Populonia, le cœur du pays étrusque, et les protagonistes ne sont plus les tombaroli mais les Etrusques eux-mêmes qui écrivent leurs histoires d’amour, de haine, de guerres et d’alliances.
En 2009 il publie “L’elemento mancante” (186 pages, Ed. La Bancarella), une intrigue policière avec des morts mystérieuses, hier et aujourd’hui, sur lesquelles enquête le commissaire Tabani ; le même commissaire intervient à nouveau dans “Nel segno dei pesci” publié fin 2009, avec une enquête prenante sur des meurtres mystérieux parmi les tombaroli qui lui fait découvrir un secret maintenu depuis 2.000 ans et transmis à travers des générations de gardiens dévoués jusqu’à la mort (mais je ne peux pas en dévoiler davantage…).
Ces livres m’ont été conseillés par des libraires locaux dont le petit kiosque à journaux de la plage de Baratti à côté de la nécropole étrusque, publiés chez des éditeurs sans grande publicité, et ne se trouvent plus pour la plupart sauf en cherchant bien. Je les garde précieusement car si l’Histoire se parcourt sur les grandes routes et sous les grands signatures, elle chemine aussi souvent par les petits sentiers, ici ceux du maquis toscan, et je suis reconnaissant à Stelio de me les avoir fait parcourir.
Enfin en 2011 Montomoli achève son édifice étrusque en remontant aux origines lointaines avec “Visione” (289 pages), la vision de ces peuples en Lydie, dans l'Asie centrale, qui vont défier les périls sur terre et sur mer pour arriver après un très long périple jusqu’à leur nouveau pays, qui deviendra l’Etrurie. Un vrai souffle épique, une description très visuelle et humaine des héros.
Cette saga étrusque est à connaître, à côte dés ouvrages savants et académiques. Montomoli n’a jamais eu d’autres prétentions qu’être un conteur d’histoires, mais a fréquenté les tombaroli, les archéologues et les policiers, et sa science est toute de terrain et d’histoires racontées de première main, d’où ce parfum d’authenticité. Et pour tous ceux qui aiment à se promener dans les ruines et nécropoles des environs, Montomoli reste un guide précieux pour la zone de Populonia et Baratti.
C’est du reste à Baratti que se déroule la trame de son dernier roman, paru fin 2014, “La strega di Baratti”(196 pages, Ed. Ouverture), à partir de l’exhumation réelle d’une femme enterrée au 13e siècle sur la plage de Baratti, le corps cloué au sol et la bouche garnie de clous en métal, l’auteur a travaillé avec la police scientifique et avec les archéologues pour réhabiliter cette femme et ses compagnons victimes, apparemment, d’un procès expéditif et d’une punition exemplaire.
Et pour ceux qui, au-delà de l’histoire des Etrusques, s’intéressent à la ville de Piombino, presqu’île stratégique dans le détroit de l’Elbe, Montomoli a également laissé trois témoignages non personnels mais proches de la réalité et qui valent également d’être lus : “I giorni del gigante” paru en 2010 ((237 pages, Ed. Polistampa) aui raconte comment les Piombinais ont vécu la chute du fascisme en septembre 1943, l’arrivée des Allemands, le début de l’insurrection, la naissance de la résistance ; “Mai” (Jamais) publié en 2010 ((237 pages, Ed. La Bancarella), une histoire d’amour sur fond de luttes syndicales, de batailles du PCI, les années de plomb et le spectre du terrorisme ; enfin en 2012 “Il mondo oltre i tempi confusi” (260 pages, Ed. Ouverture), étonnant roman se situant dans une centaine d’années, avec la survie de tribus rivales aux prises avec des batailles meurtrières dans les ruines de l’aciérie géante aboutissant à leur destruction mutuelle sauf si… et c’est un message d’optimisme qui empêche les derniers des Piombinais de disparaître dans le néant.
Comme me l’écrivait Montomoli en 2012 et comme il me le disait encore l’année dernière avec toujours sa grande modestie, sa maladie cachée derrière des lunettes de soleil et toujours accompagné de son petit chien, “savoir que la fatigue de passer quatre mois devant son ordinateur pour raconter une histoire est appréciée, qu’elle aide à divertir, qu’elle rappelle et fait revivre des paysages auxquels on est liés comme les nôtres, cela est d’un grand réconfort”. Il est parti avec son sourire, et nous a laissé un trésor étrusque qu’il suffit de creuser un peu pour découvrir…
son engagement au PCI rappelle peut-être celui de "Pepino" dans "I cento passi", non ?
En tout cas, comme tu le dis, tant que Baratti et populonia seront là, ses histoires resteront vivantes ! non ?
Rédigé par : popbayle | 10 novembre 2016 à 17:49