Derrière un titre trompeur et un peu racoleur, « Je n’étais pas la bienvenue », Nathalie Guibert démontre par un témoignage très fort la capacité d’intégration d’une communauté de sous-mariniers condamnés à s’entendre dans un espace confiné, gommant toutes leurs différences et leurs aspérités pour assurer une circulation fluide, un fonctionnement harmonieux et surtout le succès d'une mission unique.
Le plus passionnant est en effet de découvrir par les yeux de la journaliste du Monde comment chacun prend possession de son espace exigu, à commencer par sa bannette, seul endroit privé où l’on se cogne malgré tout dès qu’on bouge, sa part de cabine et son tour dans la minuscule douche au débit d’eau strictement compté, pire que les détenus de certaines maisons d’arrêt qu’elle a visitées, mais elle gardera pour elle ses comparaisons tant qu’elle est à bord.
Ses sentiments, mitigés au départ et qui resteront réservés pour les plus caricaturaux d’entre les 75 hommes de l’équipage du “Perle”, se transforment au fil des jours en admiration pour ces héros d’un quotidien impossible, enfermés et isolés au fond des océans : « je témoigne pour ceux qui ont accepté de faire profession de l’enfermement. Ce qu’ils vivent est tout à la fois singulier et tout simplement héroïque ». Un témoignage qu’elle a d’abord livré sur son blog, avant de publier ce livre.
Contrairement à l’expérience d’autres journalistes sur des bâtiments de surface, où l’intégration de l’intrus est parfois rejetée par de rares psycho-rigides – il y en a dans toutes les communautés – elle explique bien comment sur un sous-marin nucléaire d’attaque, le plus petit de sa catégorie, il n’y a place pour aucun différend ouvert : tout est feutré dans une pénombre constante, tout est dans le non-dit, elle raconte qu’elle est déconcertée par ces repas au carré des officiers où personne ne dit rien, c’est « Nathalie chez les taiseux ».
Si l’éditeur insiste pour mettre en valeur le témoignage de « la première femme dans le huis clos d’un sous-marin nucléaire », l’auteur a la modestie de reconnaître qu’elle est plutôt perçue par ces jeunes matelots, 27 ans en moyenne, comme la doyenne du bord, et se fait même traiter par l’un d’entre eux de « Jeanne Calment » de l’équipage. Mais comme la plupart d'entre eux elle souffre de l'éloignement de son environnement et décrit bien la difficulté qu'ont beaucoup de renouer par téléphone avec leurs proches à l'occasion d'une escale, au risque de raviver la coupure familiale.
On s’habitue à tout, et son expérience humaine confirme que même totalement étrangère à ce monde de la sous-marinade, elle a été acceptée et a pu trouver ses marques, même si elle en sort avec des bleus partout à force de se cogner dans les coursives et sur les échelles. Mais elle livre surtout une des clefs de ce qui sera la réussite de l’intégration des premières femmes à bord des sous-marins, désormais en marche : l’équipage n’est pas formé d’individus indifférenciés et interchangeables, mais de spécialistes, de la propulsion nucléaire, des systèmes d’armes, de l'analyse chimique de l'air du bord, et jusqu’aux "oreilles d’or" qui donnent au bâtiment aveugle les yeux qu’il n’a pas pour voir autour de lui.
Justement, les femmes qui seront embarquées seront elles aussi des spécialistes, chacune avec un rôle déterminé, indispensable pour le fonctionnement du tout. Il y a fort à parier que la promiscuité, paradoxalement, sera gommée par le confinement, car plus on est serré plus on arrive à s’esquiver, découvre la journaliste en apprenant à circuler dans les coursives. Quant à sa féminité, elle disparaît derrière la même combinaison de toile que tout le reste de l'équipage, et les mêmes T-shirts de coton imprégnés d’une odeur métallique, « un mélange écœurant, ferrugineux et huileux » qui, lui collera à la peau en retrouvant l'air libre.
Une expérience forte, la compréhension d’un univers de sacrifices personnels, le sous-marinier est plus isolé et plus coupé du reste du monde que n’importe quel autre marin, un univers où chacun prend sur soi pour préserver la cohésion du groupe, c’est un très beau témoignage sur la vie en immersion, où la plume critique d’une journaliste du Monde ne peut cacher une admiration réelle pour l’engagement des sous-mariniers.
Je n'étais pas la bienvenue, Nathalie Guibert (éditions Paulsen, 192 pages, 18,50 €)
Commentaires