« 1929 Jours », enfin un livre courageux et pudique à l’extrême qui, malgré sa discrétion et sa retenue, aborde un sujet difficile, celui de la mort des militaires en opérations, et se reçoit comme un coup de poing tant la charge émotive est forte : c'est le témoignage des familles des 80 militaires français morts en Afghanistan entre 2001 et 2012, recueilli par le journaliste et photographe Nicolas Mingasson.
A la demande d’un groupe de parents qui voulaient faire entendre leur voix, puis avec le soutien de « Solidarité défense » et de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), et avec l'autorisation du chef d'état-major de l'armée de terre le général Bosser pour accéder aux unités, Nicolas Mingasson a entrepris un long travail, presque deux ans, enchaînant déplacements et interviews pour faire parler les parents, les épouses, les enfants, mais aussi les camarades de combat et leurs chefs de corps, avec en complément l’analyse d’un ancien médecin militaire, le Dr Chaput. Un exercice de parole pour le souvenir des disparus, mais aussi pour faciliter le trop long travail de deuil de toutes ces familles.
Pas de voyeurisme, pas de pathos, mais pas de censure non plus. Les mots jaillissent dans leur sincérité : mots de douleur et d’incompréhension, mots critiques envers l’attitude de certaines autorités et d’une machine militaire qui tarde tant à restituer les corps, mots poignants sur l’incommunicabilité d’une expérience aussi traumatisante que la perte d’un être cher à la guerre. Les témoignages se recoupent parfois, mais l’émotion est à chaque fois différente, il n’y a que des cas particuliers.
Dans une structure finalement logique, « avant, pendant et après » la mort, l’auteur décrit d’abord un sujet rarement abordé, sauf dans l’ouvrage de Michel Goya « Sous le feu : la mort comme hypothèse de travail » , celui du risque mortel inhérent à la condition militaire. Les militaires qui partent en OPEX ont tous une conscience forte de ce risque qu’ils essaient de masquer aux familles, jusqu’à retarder l’annonce de leur départ ; ils ont parfois une prescience que certaines opérations sont beaucoup plus risquées ; enfin dans certains cas ils ont une vraie prémonition qu’ils ne reviendront pas, et que l’on découvre après coup par des messages laissés aux uns et aux autres, des dispositions particulières en matière d’assurance, des réconciliations avant le départ.
Dans cette première partie, où les familles racontent comment elles ont décrypté les signaux, et comment elles ont découvert l’autre volet militaire de la vie de leur proche, une phrase revient : personne ne s’est dérobé. Ils sont soldats non par métier, mais par engagement. Ils ne partent pas insouciants et mal préparés contrairement à ce qu'on lit parfois, au contraire ils partent graves et en pleine conscience du risque qui les attend. Surtout, la cohésion de leur unité cimente leur détermination : on part pour l’engagement, pour la mission, mais aussi "pour ne pas laisser tomber les copains".
Toute une série de témoignages recueillis auprès des militaires montre que la mort d’un de leurs camarades est d’abord un traumatisme pour les soldats eux-mêmes. Ceux qui vont culpabiliser (« pourquoi lui et pas moi ? »), ceux qui se retrouvent orphelins de leur binôme, ceux qui vont ramasser les corps, les médecins qui vont avoir, à l’hôpital de Kaboul, la tâche insupportable de recoller les corps parfois en morceaux pour reconstituer un cadavre présentable. Un véritable traumatisme pour des médecins qui ne sont pas préparés à s’occuper à la fois des vivants et des morts. Traumatisés aussi, les cadres et les chefs de corps, qui doivent assumer la perte de leurs hommes et conserver un détachement apparent pour maintenir l’unité concentrée sur la mission, tout en la préservant du désir de vengeance. De très belles paroles de soldats rarement dites et qui montrent que le deuil est porté à tous les niveaux de l’institution militaire, c’est ce qu’on découvre dans la seconde partie, celle qui entoure la mort et dont le plus beau symbole est cette photo prise par Thomas Goisque où l’on voit une unité entière sortir de sa FOB pour escorter un cercueil jusqu’à l’hélicoptère, défilé spontané et sans protocole. (Dans « D’ombre et de poussière », avec Sylvain Tesson chez Albin Michel).
Le retour des corps est long, raconté par les parents : entre le moment où on leur annonce le décès (« si tu vois deux pingouins à la grille, c’est que je serai cuit ») et le rapatriement du corps il se passe beaucoup de temps, entre l’hôpital à Kaboul et un dernier passage à l’unité pour les honneurs militaires. Puis l’arrivée à Roissy ou à Villacoublay, la cérémonie aux Invalides où les familles n’ont qu’un accès lointain aux cercueils (des mots très sévères sur l’indifférence de certains politiques), le passage obligé et éprouvant par l’institut médico-légal et la morgue, un dernier passage par le régiment, avant que le cercueil ne soit finalement rendu aux familles, et certaines familles n’auront jamais vu le corps de leur proche, d’où un deuil impossible à commencer.
La dernière partie, « après », est la plus longue et la plus douloureuse. Certains acceptent, d’autres s’enferment dans le déni. Des dysfonctionnements sont dénoncés : telle jeune femme « pacsée » avec le militaire tué au combat n’est pas considérée comme l’interlocuteur des autorités, qui s’adressent aux parents – elle obtiendra du président de la république de pouvoir faire un mariage posthume. Mais le plus fort reste l’accompagnement par les régiments des familles de disparus. Le deuil des camarades de combat est aussi traumatique et les rapproche des familles, jusqu’à ce que le temps cicatrise la blessure et que les liens se distendent normalement, d’autant que les soldats repartent en mission ou changent d’unité.
Une lecture éprouvante et superbe, qui ne cache rien mais révèle aussi la grandeur et la cohésion sociale des militaires entourant les familles, alors que la société civile peine à comprendre la réalité au-delà du symbole. Symbole du reste rejeté par certaines familles qui trouvent l'expression « mort pour la France » réductrice, ou certaines épouses qui veulent toujours être appelées épouses et ne pas être enfermées dans la catégorie "veuves de guerre".
Enfin la reconnaissance de la société est encore trop absente. L’hommage de trop peu au pont Alexandre III, vu depuis les Invalides par les familles, la réticence choquante de certains maires à ajouter un nom sur le monument aux morts, c’est un décalage douloureux entre le sacrifice consenti et la considération apportée non pas seulement aux morts mais aux survivants. Ce livre arrive à point et se termine sobrement par la liste des 90 militaires morts en Afghanistan, monument de papier en attendant enfin le monument aux soldats morts en OPEX, initialement prévu dans le 7e arrondissement de Paris mais dont les élus n’auraient pas voulu, et qui sera finalement érigé dans le parc André Citroën, dans le 15e.
« 1929 Jours », Nicolas Mingasson, 380 pages, Ed . Les Belles Lettres.
le sacrifice d'un militaire au combat ne concerne que les militaires les frères d'armes ,la disparition concerne la famille et les amis mais pour le pays aujourd'hui et nos élus
on ne demande que la reconnaissance et du soutient ,merci pour cette ouvrage
Rédigé par : capron alain | 01 novembre 2016 à 19:55