La guerre vue à travers l’objectif d’un photographe des armées, c’est une vision réaliste et de très près, au plus près du risque et de la vie des combattants, que décrit Sébastien Dupont, soldat de l’image au vrai sens du terme, en racontant, dans « Journal d’un reporter militaire », ses dix années d’opérations (2010 – 2016) avec les trois armées sur plusieurs théâtres d’opérations dont l’Afrique, le Golfe et l’Afghanistan.
L’art des photographes est de faire parler les images et Sébastien Dupont en a donné de marquantes et très diverses, aviateur embarqué sur tout ce qui vole mais également immergé avec les terriens ou avec les marins en fonction des opérations : RCA, RCI, Corne de l’Afrique, plusieurs fois en Afghanistan, Serval, Chammal aux EAU mais aussi en vol au-dessus de l’Irak et de la Syrie, ainsi qu’opérateur sur la base aérienne 126 de Solenzara. Des opérations connues mais dont il donne des détails sur les préparatifs souvent réduits au minimum, la mise en place et le déroulement, comme pour l’opération Thalatine en avril 2008 pour libérer les otages du Ponant. Ce récit, c’est le making-of de beaucoup de photos connues, publiées sur les magazines des armées ou dans la presse mais dont on découvre dans quelles circonstances difficiles elles ont été prises.
La force de ce témoignage est dans la modestie du propos. Comme il le dit lui-même, le travail du photographe militaire « consiste à rester dans l’ombre pour mettre les autres dans la lumière ». Il commence du reste dans l’ombre puisque ses débuts à l’ECPAD consistent à faire un travail de documentaliste et de laborantin sur les archives de guerre. Faire son trou chez les reporters photographes n’est pas évident, il les apprivoise en prouvant sa disponibilité et son sérieux dans l’apprentissage de la technique, avec des détails qui intéresseront les passionnés de photo sur l’évolution en dix ans des techniques de prise de vue (trois générations de boîtiers Nikon), sur la photo de nuit, l’usage des intensificateurs de lumière, les problèmes de condensation en pays chaud, etc.
L’apprentissage du métier de soldat est rude et rapide : comme tous les reporters militaires, le sergent Dupont se retrouve sur le terrain avec gilet pare-éclats, casque et pistolet automatique. Mais plus d’une fois il devra être équipé d’un FAMAS dont il se servira par exemple lorsque son unité est prise à partie dans un village afghan. Plus encore, il se fait accepter comme ses camarades en prenant sa part de l’équipement ou des munitions de l’unité, en plus de son paquetage personnel et de son matériel photographique : parfois plus de quarante kilos à porter en marchant en montagne, dans le sable ou dans la neige. C’est le prix à payer pour se faire accepter par les unités de combat et il raconte comment il y arrive progressivement.
La difficulté vient moins des combattants de base, dont il partage totalement les conditions de vie et de combat, que d’un encadrement parfois mal préparé à l’arrivée de ces opérateurs d’image, qualifiés de « journalistes ». Je me souviens des opérateurs de l’ECPA pendant la guerre du Golfe qui portaient une combinaison grise et étaient perçus comme des civils – erreur rectifiée ensuite. Pourtant ils sont indispensables, ce sont leurs images qui sont demandées par l’état-major des armées pour les opérations, le renseignement, parfois pour les familles quand il s’agit des honneurs militaires rendus aux soldats tués en opérations, et enfin pour les médias, ici avec une pression croissante des responsables politiques.
L’articulation des photographes et cameramen militaires est loin d’être simple : s’ils sont perçus comme « journalistes » par certains, ils sont aussi considérés comme militaires par les médias (j’ai en mémoire certaines réticences du Prix Bayeux, qui nous ont incités à créer le Prix sergent Vermeille), les opérateurs de l’ECPAD et des SIRPAs photo font totalement partie du dispositif opérationnel. Accompagnés ou pas d’un chef d’équipe image, ils relèvent du « Conscom », le conseiller communication du commandant de théâtre, ce Conscom relevant lui-même d’EMA-Com, le service de communication de l’EMA qui coordonne l’ensemble de la communication opérationnelle et donne en particulier les autorisations de reportage et les validations des images recueillies.
Ce problème de validation enferme les opérateurs dans un écheveau de contraintes : il faut d’une part multiplier les reportages dans l’urgence, pour que l’EMA-Com puisse fournir des images aux médias pour le journal de 20 heures ou pour le point de presse hebdomadaire de la DICOD, et d’autre part multiplier les précautions, y compris de transmission, pour respecter la Secops, la sécurité opérationnelle. Ce qui limite évidemment la marge de manœuvre et d’initiative des opérateurs sur le terrain.
Sébastien Dupont raconte comment, de sa propre initiative, il multiplie les « à-côté », les prises de vue de l’environnement géographique et humain, paysages, villages, population civile, mais également les reportages sur les soutiens (service des essences, service de santé, actions civilo-militaires) et en particulier sur le soutien aérien et de l’ALAT. Cela lui permet de belles séquences, parfois mouvementées, en vol tactique à bord de Puma, en CAS sur Mirage 2000 ou en ravitaillement sur C-135F, allongé dans le boom à l’arrière du fuselage. Ce sont précisément ces « à-côté » qui permettent ensuite de situer une opération dans sa durée, dans son contexte et dans son environnement, ce qui est essentiel pour la mémoire des armées.
L’auteur reste assez discret sur ses états d’âme ou ses inquiétudes, raconte rapidement comment il pense s’être fait tirer dessus en Afghanistan sans vraiment s’en rendre compte, mais évoque l’émotion ressentie par tous chaque fois que les Français voient tomber l’un des leurs, et notamment cet autre soldat de l’image, le sergent Sébastien Vermeille, photographe du Sirpa Terre, mort au combat en Afghanistan le 13 juillet 2011. Lui revient à l’esprit cette citation de Confucius affichée sur une armoire des reporters : « on a deux vies, la seconde commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une ». Et d’ajouter : « J’en prends de plus en plus conscience, les accrochages avec l’ennemi me reviennent en mémoire, parfois même durant la nuit, il faut que je me pose ». Un passage intéressant, au sujet du stress post-traumatique éprouvé par beaucoup de ces combattants en OPEX, est la description du passage de trois jours dans le sas de décompression de Chypre, avec médecins et psychologues : perçu d’abord comme un retour retardé vers leurs familles, le sas est finalement apprécié selon lui par tous ceux qui y passent, pour mieux appréhender leur retour à la vie civile et au quotidien de la vie familiale.
Modeste de bout en bout, Sébastien conclut que la photo n’est pour lui qu’un moyen de se rapprocher des hommes et des femmes, « de les comprendre et de leur donner en quelque sorte la parole ; si mes images ont été là pour traduire leur message, je n’aurai pas été totalement inutile ». Sa discrétion fait du reste partie du statut des photographes militaires. Du fait des contraintes opérationnelles renforcées après les derniers attentats, et pour préserver non seulement les combattants en OPEX mais leurs familles en France, l’anonymat est désormais la règle. Ce qui fait que, sauf exception, beaucoup de photos de ces reporters portent la simple mention ECPAD ou SIRPA, sans préciser l’auteur, comme on peut le constater en cherchant des photos des OPEX sur Internet. Il faut souhaiter que, à plus long terme, ces noms réapparaissent dans les œuvres de mémoire qui seront produites, expositions ou ouvrages, afin de tendre justice à ces historiens par l’image.
Journal d’un reporter militaire – 10 d’opérations à travers l’objectif, préface du Général Lanata, CEMAA. Sébastien Dupont, 243 pages, Editions de la Flèche.
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