Si le candidat Emmanuel Macron a commencé par le conditionnel d’usage « si je suis élu président de la République » en présentant samedi matin son programme pour la défense, tout son discours était conjugué au futur et non au conditionnel, sur un ton calme mais résolument affirmé. Rien de révolutionnaire dans les perspectives mais un accent résolument européen dans une approche où la défense n’est qu’une composante, avec la diplomatie, d’une politique extérieure visant à maintenir le rayonnement de la France dans le monde.
Après un préambule pour évoquer l’attaque d’Orly et rendre hommage aux militaires de l’Opération Sentinelle qui « ont une nouvelle fois ce matin fait la preuve de leur sang-froid et de leur professionnalisme », le candidat a ouvert sur l’article 15 de la Constitution qui fait du président de la république le chef des armées : « j’assumerai pleinement ce rôle et celui, inséparable, de garant du respect de la dissuasion ».
Petite évocation de son passé pour rappeler qu’il est de la première génération qui n’a pas connu la guerre et n’a même pas fait son service militaire, mais pour souligner que malgré les apparences, le risque de guerre n’a jamais disparu : « nous n’avons jamais été libérés de l’inquiétude de l’Histoire ». Avec une nouvelle conscience tragique de l’Histoire depuis la destruction des Twin Towers en 2001 et, pour la France, « nous sommes entrés dans une nouvelle ère de conflit depuis (les attentats de) 2015 ».
Un développement sur le terrorisme, qui a changé de nature, s’est militarisé, est entré dans la violence sans frein. Mais le terrorisme n'est pas tout. Il a insisté sur les menaces plus classiques et a explicitement mis en cause la politique agressive de la Russie pour évoquer la faiblesse des Européens. « L’idée européenne est née des drames du siècle passé… Aujourd’hui ce projet européen est ébranlé (par le Brexit, les flux de migrants, l’insécurité liée au terrorisme) et les citoyens ne sont plus assurés que l’Europe peut les défendre ». Pourtant, « seule la fermeté et l’unité des Européens nous permettront de maintenir le dialogue avec Moscou qui reste indispensable ».
Un passage également sur l’imprévisibilité nouvelle des Américains, et sur la nécessité pour les Européens de se renforcer collectivement au sein de l’OTAN. Il y reviendra en parlant de nécessaire défense européenne, mais commence par resituer sa vision du rôle de la France sur laquelle il insistera : « une défense forte, une diplomatie engagée ». Pour autant, il se dit fidèle à la politique d’alliances : « je ne suis pas un unilatéraliste – l’indépendance n’est pas la solitude ».
La France jouera donc tout son rôle au sein de l’OTAN, mais « notre sécurité ne saurait reposer sur la seule OTAN », au moment où les Américains s’interrogent sur leur propre engagement. « L’Union européenne doit avancer résolument vers l’Europe de la défense, qui reste un projet inachevé ». Et s’il le faut, on commencera par une relation renforcée avec l’Allemagne, en revitalisant le conseil franco-allemand de défense. Quant à la Grande-Bretagne, « la relation de défense doit être maintenue malgré le Brexit et si possible renforcée sur les coopérations conventionnelle et capacitaire ».
Politique européenne volontariste, mais qui ne doit pas limiter les ambitions propres de la France : « je refuse la tentation du repli, la France doit rester une puissance militaire mondiale ». Comme le ministre Jean-Yves Le Drian (auquel il rendra hommage quatre fois dans son discours) dans son livre « Qui est l’ennemi ?», Macron voit dans la menace « les Etats faillis » dans lesquels prolifère le terrorisme : « en Libye, la situation est devenue inacceptable ». Développement logique sur la présence militaire française en Afrique et au Proche-Orient, pour aller défaire militairement la menace militaire terroriste là où elle s’organise, s’agissant bien entendu d’un effort militaire dans le cadre d’une politique associant les alliés européens et les partenaires régionaux.
Face à cette menace diverse, le candidat refuse le dogmatisme et privilégie le pragmatisme : l’opération Sentinelle doit être adaptée mais progressivement réduite, il propose de créer un centre de planification et d’opérations pour les opérations de sécurité intérieure associant les principaux ministères concernés, ainsi qu’une coopération des agences de renseignement concernées par le terrorisme. Et pour maintenir les capacités d’intervention de la France, il propose de renforcer le renseignement autonome et une industrie de défense puissante, s’appuyant sur des coopérations européennes.
Le cadre actuel de la loi de programmation militaire (LPM) est devenu trop étroit face à l’extension des menaces et des missions, il demandera donc l’élaboration d’un nouveau Livre blanc qui devra lui être remis d’ici la fin de l’année, pour qu’on puisse engager début 2018 l’élaboration d’une nouvelle LPM. Coïncidence, le coordinateur des précédents livres blancs était là, oreillette de téléphone à l’oreille, prêt à repartir au travail (il a sans doute commencé depuis longtemps).
Sur les capacités, Emmanuel Macron mentionne notamment l’accélération du programme Scorpion, les hélicoptères, les ravitailleurs en vol, le transport aérien et les bâtiments de présence, notamment parce que les moyens de transport et de ravitaillement conditionnent notre capacité d’engagement.
Renouvellement des composantes de la dissuasion, études pour un deuxième porte-avions, modernisation du Rafale, tous les moyens classiques sont évoqués, mais il mentionne aussi deux capacités nouvelles : la famille de la composante non pilotée de l’armée de l’air, et la composition d’une véritable « force cyber ». Pour la première il mentionne la coopération européenne sur les drones après un hommage appuyé à Dassault, pour la seconde il s’interroge sur la création d’une 4e armée pour la cyber et préconise d’ici la fin du quinquennat une force de 6.000 « combattants cyber ».
La politique de réindustrialisation de défense doit être selon lui accélérée, avec un effort non seulement vers les grands groupes mais aussi vers les PME. Pour les grands groupes, tout le monde a reconnu Airbus lorsqu’il évoque, au sujet des regroupements européens qui restent à parfaire, le poids de la France dans le management (qui) doit être cohérent avec la place du groupe en France, et qu’il ajoute que les activités militaires de ces groupes ne doivent pas être sacrifiées au profit des activités civiles plus rentables. Sur les PME, indispensables dans le tissu français des industries de défense, il rend hommage à Jean-Yves Le Drian pour la relance, vendredi en Bretagne, d’un pôle munitionnaire qui avait disparu en France.
Nouvel hommage à Le Drian dans le passage sur la politique d’exportation des matériels de défense : « depuis 2013, la France a réalisé des succès inédits à l’export », l’une des raisons en est la méthode des équipes intégrées associant industriels, DGA et militaires, la marque de fabrique de l’équipe France. Petite surprise dans le public de spécialistes lorsqu’il évoque une nouvelle stratégie pour la DGA visant à « l’adapter et à l’améliorer », mais sans détailler.
Le candidat n’oublie pas le volet social – déjà mentionné avec l’emploi dans le secteur industriel – pour évoquer la politique de gestion RH et la stabilisation des effectifs de la défense : « la décision historique de ne plus réduire les effectifs en 2015 sera poursuivie jusqu’en 2019 ». Un effort aussi pour moderniser le calcul et le paiement des soldes, avec un nouvel hommage au ministre pour sa gestion de la crise Louvois. Un mot également sur la spécificité de la condition militaire – « militaire ce n’est pas un métier comme un autre » – le rappel de son attachement au statut militaire de la gendarmerie, l’intégration dans les efforts de défense de l’amélioration de la condition militaire y compris les conditions de vie et de travail.
Sur les droits attachés au statut spécifique des militaires, le candidat veut faire vivre le dialogue interne par une concertation rénovée au sein du conseil supérieur de la fonction militaire, veut encourager la mise en œuvre du nouveau droit aux associations professionnelles nationales militaires (APNM) et veut engager des travaux sur l’égibilité des militaires aux prochaines élections municipales : on est dans le droit fil de ce qui a été entrepris ces trois dernières années.
Emmanuel Macron, qui n’oublie pas qu’il a été ministre du budget, a fait chiffrer son programme et précise que l’objectif de 2% du PIB consacré à la défense est atteignable en 2025, pas avant. « Je ne veux pas promettre ce qui ne sera pas tenable », dit-il, car « les volontaristes d’estrade font une victime : la communauté de défense ».
Pourtant l’annonce en conclusion de la recréation d’un service national obligatoire, certes limité à un mois, laisse songeur. Il veut relever le défi d’éducation mais aussi « moral et de civilisation » de la société française en créant ce rendez-vous de tous les garçons et filles d’une classe d’âge avec une expérience militaire, avec la mixité sociale et avec la cohésion nationale. Un effort qu’il chiffre (si j’ai bien entendu) à 15 milliards € en infrastructure et 2 à 3 milliards € par an pour le fonctionnement, de façon indépendante de la cible des 2% des PIB : on imagine les tiraillements avec Bercy et les arbitrages difficiles du président quand il faudra financer cette mesure hors budget défense… mais comme il s’est engagé à ouvrir un débat parlementaire, le sujet est loin d’être tranché, si le principe en est généreux. Au moins a-t-il pris les devants dans le débat électoral, forçant les autres candidats à se positionner.
Hommage à la communauté de défense, rôle fondamental du lien armées-nation pour permettre à la France de surmonter ses crises, le candidat retrouve enfin dans les valeurs traditionnelles des militaires, honneur et discipline, la force et la conviction qu’il veut insuffler aux Français : « je ne doute pas, conclut-il, et je ne veux pas que la France doute ». Un discours qui reste conforme au consensus politique sur la défense en France et ne devrait pas susciter, au-delà des polémiques électorales, de contre-propositions diamétralement opposées. Mais un programme qui se situe aussi dans le droit fil du mandat Hollande et de la politique de Jean-Yves Le Drain, avec une inflexion européenne plus ambitieuse, l'Europe étant décidément l'élément le plus clivant de cette campagne.
(c) Photo Jean-Jacques Bridey
je peux tout entendre mais je me méfie de la piqure du scorpion (le service national d'un mois) dont rien n'est dit sur son encadrement
600000 jeunes par an, c'est 50000 tous les mois ou l'équivalent de 50 régiments en termes d'encadrement soit 10000 cadres, soutien non compris. comment les trouver d'ici 2018 si ce n'est d'aller les chercher dans l'armée de terre ?
comment attirer des futurs cadres dont la mission sera d'être un GO, titulaire d'un BAFA amélioré ?
bref. après SENTINELLE et le recrutement, deux missions qui épuisent l'armée de terre, on lui ajoute simplement une 3e mission au lieu de retrouver l'entraînement et l'équiper correctement.
Rédigé par : robin | 31 mars 2017 à 22:03
La méfiance est légitime sur un projet qui n'a pas encore mûri. mais il n'est pas impossible que certains hauts responsables militaires aient souhaité que ce projet reste bien situé au niveau des armées, comme ils l'ont fait pour la garde nationale. Il faudra évidemment redéfinir les moyens, trouver des sites, etc. Quant à Sentinelle, il est de plus en plus évident qu'on va en sortir, ne serait-ce que pour des raisons d'efficacité !
Rédigé par : Pierre Bayle | 05 avril 2017 à 16:26