Robinson n’est pas son vrai nom, mais il lui a été donné comme l’habitant unique d’une petite plage toscane dont il est le gardien exclusif. A Fosso alle Canne, dans le parc naturel de Piombino, Enrico Salvadori, retraité des aciéries de la ville, a édifié un petit espace préservé : ce n’est pas une construction puisque c’est un parc protégé, mais un abri posé sur quelques murets de pierres sèches et protégé par un rideau de cannes et de tamaris, avec une toile tendue sur la cour intérieure comme protection du soleil.
A 75 ans passés, il y habite seul depuis une quinzaine d’années, de mai à octobre, et a embelli le site complètement sauvage par ses sculptures en bois : sirènes, totems, dauphins, créatures marines. L’année dernière, des pluies torrentielles déferlant depuis les collines ont emporté la plupart de ses sculptures, balayant la plage et la parsemant de blocs de pierres et de débris de bois.
C'est un travail de Sisyphe car la plage est attaquée aussi chaque hiver par les vagues poussées par le mistral et le scirocco. Mais ces attaques de la nature, depuis la terre comme de la mer, ne le découragent pas et il remonte patiemment ses petits murets, pour rebâtir son palais de cannes et de tamaris. Les murets sont aussi une protection contre les sangliers, innombrables dans cette réserve de chasse. Il bénéficie ainsi d’une tolérance des autorités pour maintenir son “palais” dans une zone non constructible, puisqu’il assure de fait une mission de service public en protégeant la plage et en la nettoyant inlassablement.
Vestige de ses sculptures emportées par les flots ou vandalisées, une sirène qui s’élevait autrefois à l’entrée de la plage gît contre un muret : c’était du bois de flottage que j’ai travaillé, raconte-t-il avec sérénité, je vais la refaire avec du beau bois solide.
Enrico, qui est un ermite mais n’est pas sauvage, aime la compagnie. Il accueille le visiteur dans son palais à ciel ouvert et montre une sélection de ses œuvres car il est sculpteur et spécialiste du bois. Essences de la région comme l’olivier, le cerisier et le chêne liège, mais aussi essences plus rares comme l’acajou ou l’ébène, il crée des objets en mariant les couleurs et les matières.
Dessous de plat, saladiers en olivier, sculptures figuratives, des mains serrant des cœurs voisinent avec un Saint François parlant au loup de Gubbio. Un travail artiste et de précision qu’il fait l’hiver dans son atelier pour préparer des expositions.
Au promeneur qui n’est pas pressé, il propose de montrer son album de photos et on découvre qu’Enrico a été un grand voyageur, sculptant sur tous les continents, du Chili à l’Indonésie et à la Thaïlande en passant par les îles les plus lointaines. En Amérique latine, “Enrique” a sculpté des dizaines de dauphins, d’aigles, d’oiseaux et de poissons avec les bois trouvés sur place, qu’il a laissés bien sûr dans les pays visités.
Et pour montrer qu’il est accueillant, il propose au promeneur de partager son repas, une ratatouille qui mijote sur le feu. Une table est dressée sous une toile faisant office de parasol, ses provisions sont gardées dans un cellier fermé par une porte solide mais sans une bouteille de vin : il ne boit pas.
Vu de la plage, le palais d’Enrico se fond dans la nature sous une frondaison de tamaris et les quelques décorations sur le côté, dont de grosses amarres de bateau, sont ce qu’il a trouvé sur une plage qu’il nettoie tous les jours. Face à l’île d’Elbe, ce surveillant de plage d’un genre particulier est le garant que Fosso alle canne reste un lieu réellement préservé.
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