Méconnue du public malgré l’engagement permanent de la France depuis 40 ans, la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) a cependant un bilan positif pour le Général de corps d’armée (2S) Jean Salvan qui affirme que, par sa présence, la FINUL a notamment évité l’installation de groupes israéliens qui auraient installé des kibboutz, rappelant que David Ben Gourion, fondateur de l’Etat d’Israël, parlait des frontières du foyer national juif en évoquant le Litani
Passé trop inaperçu, le 40e anniversaire de la mise en place de la Force « intérimaire » des Nations Unies au Liban (FINUL) a donné lieu à l’évocation de l’engagement de la France dans cette force et dans d’autres missions au Liban (FMI, FMSB, DETOBS), avec le souvenir toujours douloureux des 58 victimes de l’explosion du Drakkar à Beyrouth.
C’est l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) qui, à l’instigation de sa directrice Rose-Marie Antoine, organisait le 29 mars un second symposium sur les engagements extérieurs de la France, après un premier consacré en 2016 à l’engagement français en ex-Yougoslavie (1992-95). Ce nouveau colloque se déroulait à l’amphithéâtre Austerlitz des Invalides, avec la participation de militaires ayant participé à ces diverses opérations ainsi que la présence de miraculés du Drakkar.
Le colloque a été ouvert par la secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées Geneviève Darrieussecq qui a regretté que la mission de la FINUL soit « devenue un peu floue dans la mémoire nationale », alors que 550 militaires français y sont encore engagés. Et a rappelé que la France y a perdu quelque 150 morts sur les plus de 600 morts en opérations extérieures depuis les années 1960.
Grand témoin de la 1ère table ronde, « Finul, mission impossible », le Général Salvan qui commandait alors le 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (3e RPIMa), n’a pas mâché ses mots pour décrire le manque de sens donné à l’action autant que l’impréparation technique et tactique des premiers contingents français de la FINUL. « On ne peut rien comprendre à la situation actuelle au Moyen Orient sans revenir à cinq siècles d’histoire de l’empire ottoman », a-t-il résumé à propos du Liban où il a été envoyé en mai 1978, ajoutant : « trente-neuf ans après, il m’est impossible d’oublier l’état d’impréparation de nos forces. Tout avait été oublié depuis l’Algérie et le Tchad. Mon régiment est parti sans une carte, sans aucune connaissance de l’effondrement de l’Etat libanais, de l’effondrement de sa police, de l’effondrement de son armée ».
Après une préparation jugée indigente – « j’ai reçu à l’état-major des armées des exposés totalement creux » - le Général Salvan constate que l’arrivée des militaires français ne suscite aucun enthousiasme « ni chez les Israéliens, ni chez les Syriens, ni chez les Palestiniens, ni même chez les Libanais »… Mais le bilan de son déploiement reste quand même pour lui positif puisque, par sa présence, la FINUL a évité l’installation de groupes israéliens qui auraient installé des kibboutz, rappelant que David Ben Gourion, fondateur de l’Etat d’Israël, parlait des frontières du foyer national juif en évoquant le Litani (sud Liban) et le désert (Jordanie)…
Présent au Sud Liban entre 1980 et 1987 pour trois mandats successivement au DSL (détachement de soutien logistique, ci-dessus), comme chef de corps du 8e RPIMa engagé au sud Liban et à Beyrouth, puis au commandement de la FINUL, le Général de corps d’armée (2S) Michel Zeisser raconte le paradoxe de sa mission : déployé le 31 mai 1982 au Liban avec l’idée qu’Israël n’interviendrait pas, le bataillon français va voir déferler les chars israéliens à peine quatre jours après avoir relevé le bataillon nigérien. Le 4 juin, l’artillerie israélienne tire au-dessus des positions de la FINUL pour atteindre le château de Beaufort tenu par les milices palestiniennes, puis c’est au tour de l’aviation israélienne d’intervenir. (Ci-dessous, le sud-Liban vu depuis Beaufort).
Le 5 juin, un colonel israélien qui a fait venir Zeisser à Metoulla lui annonce l’invasion de Tsahal pour le lendemain, information transmise à la chaîne hiérarchique française et Onusienne mais sans susciter de réaction. Le 6 au matin, ce sont d’abord 80 chars qui se présentent à Nakoura et traversent le poste frontière, car les paras français n’ont pas d’autorisation d’utiliser leurs armes. « En trois jours on va voir passer 200 chars et 200 à 400 véhicules blindés M-113 ». Pour le Major Omer Marie-Magdeleine, présent sur le terrain, ce sont 400 chars qui sont passés devant leurs positions.
Le commandant de la FINUL, le Général Callaghan, se trouvait le 6 à l’état-major israélien, rappelé de ses vacances en Italie, et les officiers de liaison du bataillon français se trouvaient à Metoulla. « Pour la hiérarchie parisienne, nous étions mis à la disposition des Nations Unies, donc il n’y avait pas de consignes ». De plus, le bataillon n’avait aucune liaison radio, tout était brouillé par les Israéliens, ce qui est confirmé par des opérateurs radio présents dans le public.
Grand témoin de la deuxième table ronde consacrée à « Beyrouth : nos soldats pris au piège » et à la tragédie du Drakkar du 23 octobre 1983, le Général d’armée (2S) Bertand de Lapresle est arrivé en 1983 à Beyrouth à la tête du 1er régiment étranger de cavalerie (1er REC), unité précédemment engagée dans la FINUL donc quelque peu familiarisée avec la situation libanaise. Lui non plus ne mâche pas ses mots pour évoquer l'imprécision de la mission : la Force multinationale de sécurité à Beyrouth (FMSB) qui avait été déployée à Beyrouth après les massacres de Sabra et Chatila (ci-contre) n’était pas multinationale mais interétatique, laissant entendre que chaque pays avait sa propre conception de la mission et qu’il n’y avait pas de doctrine d’ensemble. « Donc ça a fini par être une mission d’autoprotection, sans réévaluation par Paris ». Pour lui le renseignement était déliquescent alors que pour une telle mission au cœur de la population, il faut de la considération, de la reconnaissance. De son observation du Liban déchiré il retient que « la valeur cardinale est la laïcité », seule capable d’empêcher « les horreurs fratricides auxquelles conduit le confessionnalisme déchaîné ».
Observateur du cadre géopolitique, le politologue Antoine Basbous a rappelé que la France s’était retrouvée en 1983 dans un contexte où les risques étaient multipliés compte tenu des trois axes d’affrontement : le conflit entre Israël et l’OLP, la France étant considérée par certaines parties comme soutenant le camp palestinien ; le conflit Irak-Iran, la France étant considérée cobelligérante aux côtés de Saddam Hussein contre l’Iran de Khomeiny, notamment en ayant « prêté » des Super-Etendard à l’armée de Saddam Hussein ; enfin la guerre froide dont le Liban était un théâtre d’affrontement, la France se retrouvant en porte à faux entre les Américains qui avaient soutenu les djihadistes sunnites contre l’URSS en Afghanistan, alors que la Russie jouait ici l’Iran et les milices chiites…
Témoin engagé comme officier de réserve au Liban, puis journaliste et historien notamment du Drakkar, Frédéric Pons a raconté comment, sur le terrain, les militaires français s’étaient retrouvés littéralement piégés, faute d’une vision d’ensemble et d’un dispositif cohérent de la coalition.
A la troisième table ronde consacrée à « La Marine en première ligne », des pilotes de l’aéronavale ont donné leur témoignage précis, notamment sur le fameux raid de représailles contre un centre du Hezbollah dans la Bekaa, dont les occupants auraient été prévenus de l’imminence de l’attaque – ce qu’ils confirment à leur niveau par l’instantanéité des tirs de missiles et de canons de DCA à l’approche de leurs Super-Etendard.
La dernière table ronde sur « Le retour, la mémoire, la reconnaissance » a permis enfin d’évoquer l’accompagnement des survivants du Drakkar par le Bureau des blessés de l’ONACVG, à la lumière de la reconnaissance, plus récente, du syndrome post-traumatique (SPT), ainsi que l’accompagnement des combattants, des blessés et des familles des victimes par la Fédération nationale des anciens des missions extérieures (FNAME-OPEX). Elle a également permis d’évoquer le travail difficile des opérateurs d’image militaires sur le terrain ainsi que l’insuffisance du travail de mémoire en amont par les différents acteurs du ministère (ECPAD, DICOD, DMPA, etc.) permettant de préparer « la mémoire de demain ».
Concluant les travaux, la directrice de l’ONACVG Rose-Marie Antoine a salué la présence de ces survivants dont certains sont des miraculés, et remercié pour leur témoignage précieux les acteurs de toutes ces différentes missions françaises au Liban ; elle a souhaité que le travail de mémoire de l’ONACVG ne reste pas isolé et soit relayé dans l'opinion publique pour soutenir les combattants de « la 4e génération du feu ».
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