C’est un sujet traité depuis des mois, tout a été dit sur la dimension idéalisée et sur l’impact réel des événements de mai 1968, mais ce cinquantenaire est peut-être la dernière occasion d’entendre les acteurs, porte-parole et responsables de la génération des baby-boomers, avant que leur voix ne s’éteigne et que l’écriture revienne aux historiens, présumés dépassionnés à défaut d’être objectifs.
La 27e édition de la « journée du Livre Politique », à l’Assemblée nationale, consacrée aux « Nouveaux enjeux de la République », a eu l’idée de mettre non pas en parallèle mais en séquence les événements de 1958, ceux de 1968 et ceux de 2018, sous le titre « Mai 58, mai 68, mai 2018 : des révolutions françaises ? ». Exercice de style mais pas seulement, cette mise en séquence a diversement inspiré les grands témoins interrogés par « Lire la Société », par écrit avant le colloque et au cours de la table ronde consacrée à cette thématique.
Très vite, les intervenants de ces deux catégories ont recentré la comparaison en constatant que la vraie révolution de 2018 n’était pas le mouvement social en cours mais l’élection en 2017 d’un candidat extérieur au jeu politique, Emmanuel Macron. Pour Jean-Pierre Chevènement, « en 2017 la désaffection à l’égard des partis de gouvernement devenus à peu près interchangeables s’est traduite pas la ‘rencontre d’un homme et de la Nation’ telle que, selon le général De Gaulle, devait la permettre l’élection du Président de la République au suffrage universel ». Tout en mettant en garde : « née des institutions de la Ve République, la nouvelle majorité devrait revenir à ses sources si elle veut créer un véritable parti de rassemblement et pour cela non pas opposer mais lier étroitement l’Europe à la Nation ».
Pour Catherine Clément, se présentant comme représentante de « la génération des baby-boomers », « la guerre ne s’est pas arrêtée en 1945 », avec la longue séquence des guerres de décolonisation dont la France arrivera à se sortir. Et finalement, une époque nouvelle en 2108 : « en intronisant le nouveau Président de la République un an plus tôt, Laurent Fabius a trouvé le mot juste : Emmanuel Macron ‘chamboule-tout’ (…) Presque partout, les partis populistes ont gagné la partie, mais en France non. Révolution ? Non, mais de la paix. Nouveau monde ? N’exagérons rien. Simplement, je me prends à penser que la guerre est finie ».
Bernard Guetta ne dit pas autre chose quand il situe les mouvements de 1968 dans leur contexte mondial : « Partout, de Berlin à Varsovie, de Rome à Tokyo, de Montevideo à Mexico, la génération des baby-boomers rejetait tout à la fois l’ordre politique d’après-guerre et l’ordre moral hérité du 19e siècle (…). Bouquets de fleurs, consensus générationnel et dérision, les soixante-huitards ont également inventé la révolution pacifique et ce n’est pas le moindre de leurs mérites… »
Si mai 1968 a été le mouvement générationnel des baby-boomers remettant en cause la génération de la résistance et aboutissant dix ans plus tard à créer la « génération Mitterrand », il y a non pas opposition, cette fois, mais filiation avec la nouvelle « génération Macron » qui a bousculé radicalement le système politique français. Avec comme une transmission de légitimité, incarnée par le soutien actif de Daniel Cohn-Bendit au candidat à la présidentielle Emmanuel Macron, un soutien marqué et remarqué venant d’un des acteurs historiques de mai 1968.
Autre acteur historique, Henri Weber, fondateur de la Ligue Communiste Révolutionnaire qui se convertit à la social-démocratie pour rallier Mitterrand et dont l’analyse révèle l’évolution profonde de sa génération : « il ne faut pas confondre l’écume de la vague et la profondeur de la mer. L’écume, ce sont les mouvements gauchistes qui ont donné au mouvement de 68 son folklore, son vocabulaire et ses références aux grandes idées révolutionnaires. Mais la profondeur du mouvement c’est autre chose, un triple mouvement en réalité. L’aspiration à une société plus démocratique et plus libérale (…) par opposition à la France de Tante Yvonne, rigoriste et répressive (…), et mai 68 c’est d’abord un grand mouvement de démocratisation et de libéralisation de la société, contre l’autoritarisme dans l’école, l’université, l’entreprise, la famille, le couple, la société, et pour un pouvoir consenti, fondé sur la compétence reconnue et sur l’élection démocratique ; et l’actuel mouvement des femmes contre le harcèlement sexuel et pour l’égalité des sexes s’enracine dans ce mouvement ». Le deuxième mouvement c’est le mouvement hédoniste (…). Le 3e c’est le rejet par les soixante-huitards du communisme soviétique et du capitalisme colonialiste. De ces trois moteurs, les deux premiers sont toujours actifs, estime Weber. Le 3e a disparu avec l’effondrement du marxisme et du communisme. Il n’y a plus de projection vers une nouvelle société. « Nous on s’appelait la LCR, aujourd’hui il y a un mouvement qui s’appelle le NPA, le nouveau parti anticapitaliste, mais ils se battent pour quel idéal ? On ne voit pas le projet. » Pour autant Henri Weber est resté fidèle à son ancrage à gauche et il n’a pas quitté le PS pour La République En Marche, contrairement à d’autres figures de la génération Mitterrand.
Représentante de la nouvelle génération, Laurence Debray, triple lauréate de la Journée du Livre Politique avec « Fille de Révolutionnaires » affirme elle aussi que la révolution actuelle ce n’est pas 2018, c’est « l’élection d’Emmanuel Macron, l’arrivée d’une nouvelle génération qui a déboulonné les politiques classiques ». Et comme un prolongement des idéaux de mai 1968, on évolue aujourd’hui vers « une nouvelle société de partage », avec le partage des vélos, des voitures, des appartements, du savoir. Ce n’est pas une révolution dans la révolution, mais au contraire une belle continuité dans la révolution, débarrassée de ses références idéologiques.
Commentaires