Il y a des livres qu’on peut lire dix ans après, vingt ans, un siècle ou même plusieurs, sans qu’ils datent. Homère, Proust, Romain Gary, on peut tout relire sans se lasser, c’est ce qu’on appelle la littérature. Et puis il y a des livres « consommables », essais politiques ou enquêtes journalistiques, qui peuvent susciter un feu d’artifice d’autant plus bref qu’il sera éclatant. C’est le cas d’une majorité de « têtes de gondole » chez les chaînes de libraires, y compris les livres qui sortent alors qu’un événement n’est même pas terminé, je pense à la floraison d’analyses qui ont immédiatement accompagné l’élection d’Emmanuel Macron ou au foisonnement de biographies qui a suivi de quelques jours les obsèques de Johnny Halliday. Dans les livres politiques, il est rare que leur succès, voire leur survie, dépasse quelques mois, sauf quand ils offrent une perspective historique comme ceux de Jean Lacouture.
C’était le cas pour « La décennie Mitterrand », chronique en quatre volumes des années de présidence de François Mitterrand, écrite par deux journalistes, Pierre Favier et Michel Martin-Rolland, tous deux du service politique de l’AFP et accrédités permanents auprès de l’Elysée. Où ils ont vécu de l’intérieur la réalité du président. Une proximité certaine avec leur personnage, plus affective pour l’un, plus intellectuelle pour l’autre, mais pas d’a priori politique et suffisamment de recul pour ne pas confondre l’actualité et la stratégie – il faut dire que l’objet de leur étude s’y prêtait, lui qui se situait en permanence dans une perspective non seulement à long terme mais littéralement historique. Cette série de quatre volumes garde son intérêt presque vingt ans après sa parution, on la trouve en coffret ou en poche.
C’est nettement moins le cas pour « Un président ne devrait pas dire ça », somme de 660 pages publiée en novembre 2016 par deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, que j’ai attendu jusqu’à ce jour pour parcourir, à la recherche de quelques clefs de compréhension sur l’étrange personnalité de François Hollande. La faute en revient en partie à leur personnage, un Hollande inachevé par opposition à un Mitterrand qui aura mené son dessein à terme, mais peut-être aussi à la méthode : cinq années d’entretiens secrets, ou plutôt discrets, avec le président de la république, cinq années d’enregistrements autorisés et, quoique s’en défendent les deux auteurs, guidés par Hollande qui voulait laisser son empreinte.
Par curiosité, j’ai cherché ce qu’il restait de cet ouvrage sur les médias sociaux et dans les recensions enregistrées sur le Net. En réalité, et c’est le piège de l’édition, l’essentiel des révélations avait été publié sous forme de « bonnes feuilles » transmises par l’éditeur aux principaux médias, déflorant ainsi le contenu de ce gros pavé et le rendant moins attractif pour le public. Tous les journalistes écrivains connaissent cette frustration. Mais s’il date c’est surtout parce que le paysage politique a depuis été totalement bouleversé, seul François Hollande ne s’en étant apparemment pas aperçu.
Si donc j’ai trouvé longue la lecture de ces 660 pages, j’ai cependant trouvé la confirmation que François Hollande était en permanence soucieux de son image et de sa crédibilité de président, et qu’il était tellement confiant dans son flair politique qu’il se pensait maître du jeu, jusqu’à geler le processus de désignation du candidat des élections de 2017 en ne voulant pas trop tôt dévoiler son choix. Les deux journalistes se sont-ils laissés entraîner sur ce terrain en ne voyant pas les craquements du paysage politique et la redonne du jeu ? Ou est-ce leur a-priori idéologique qui les fait évacuer le phénomène Macron en le cataloguant comme un « banquier » peu au fait du fonctionnement du système politique ?
A cet égard, le livre de Gaspard Gantzer « La Politique est un sport de combat » en apprend beaucoup plus, et en beaucoup moins long ce qui est un avantage, sur la rivalité sourde puis ouverte entre Valls et Macron et sur l’irrésistible ascension de ce dernier, malgré ou à cause de l’incapacité de Hollande à trancher, lui qui se considérait supérieur à ces deux jeunes du fait de son expérience politique. N’est pas Mitterrand qui veut, et si la séniorité de Mitterrand le plaçait incontestablement au-dessus des autres, celle de Hollande était toute relative et l’a amené à répéter la faute de Jospin aux présidentielles de 1995 : ne pas mobiliser ses propres troupes en pensant qu’il était de facto en position de force, challenger obligé du candidat de droite Jacques Chirac.
Le livre de Davet et Lhomme est révélateur du fait que Hollande a passé son mandat à revivre son face à face électoral avec Nicolas Sarkozy, avec la tirade des « moi président » qu’il trouvait sans doute aussi géniale que celle des nez dans Cyrano de Bergerac. Sauf qu’on ne peut pas être à la fois Rostand et Cyrano. Ce face à face qu’il revit sans cesse et qu’il souhaite refaire va fausser son jugement jusqu’à lui faire souhaiter que Sarkozy soit à nouveau le candidat de la droite et que lui, Hollande, puisse se poser en sauveur de la gauche. Les deux auteurs, qui tiennent un scoop terrible avec la révélation d’un déjeuner entre François Fillon et Jean-Pierre Jouyet au cours duquel Fillon aurait demandé à l’Elysée d’accélérer la procédure de justice sur l’affaire Bygmalion qui menaçait Sarkozy, voient Hollande essayer de minimiser cette rencontre pour défendre son collaborateur. En réalité, pris sans doute par la portée de leur scoop et par les accusations du clan sarkozyste, ils ne voient sans doute pas que Hollande aurait d’autant moins prêté l’oreille à cette sollicitation de Fillon… qu’il préférait s’affronter à nouveau à Sarkozy et personne d’autre ! Mais tout cela est bien loin.
L’épilogue vaut la lecture : on revient très loin dans le passé, en juillet 2016, au dernier entretien du président avec les deux journalistes, avec cet aveu : « compte tenu de son importance, c’est votre livre qui va compter. Le fait qu’il soit lourd, cela écrase les autres. Moi, je ne fais pas de livre, je ne ferai pas le récit de mon quinquennat. Je n’ai pas envie de raconter. Ce n’est pas à moi de le faire… Si j’en faisais un, ce serait un livre de candidature, programmatique ». Tout est dans cet aveu : le président non-candidat se ménage l’avenir, tout en insistant sur le fait que cela ne lui poserait aucun problème de redevenir simple citoyen. Modestie tactique ? L’homme impénétrable n’est visiblement pas pressé, ne voit pas le temps s’écouler, le décor changer autour de lui. Et jure, en réponse à la dernière question de ses interviewers, qu’il ne s’est jamais fait teindre les cheveux, qui ont gardé leur couleur naturelle… Preuve évidente que le temps n’a pas prise sur lui.
Le temps a passé quand même, inexorablement. La droite s’est effondrée, la gauche a implosé, Macron a rempli le vide béant, sans doute le premier étonné de ce boulevard qui s’ouvrait devant lui. Hollande a finalement écrit un livre, « Les leçons du pouvoir », un vrai succès de librairie. Il n’a pas participé à l’université d’été de ce qui reste du PS, laissant quelques éléphants marquer le terrain autour d’un jeune Olivier Faure qui tente ce qu’il peut malgré tout. Dommage, il aurait été intéressant de l’entendre sur « les leçons d’un échec ». On ne peut pas s’empêcher de penser à nouveau à Mitterrand, rassembleur autour d’une logique du Programme commun associant toutes les forces de gauche et de progrès, et cette danse pathétique du cimetière des éléphants. Plus besoin d’écrire un gros pavé pour savoir que Hollande, quel que soit le bilan, n’est plus dans la course, même s’il continue à décliner son « moi, président ». Son livre ? Je le lirai l’année prochaine, sans urgence. Ou pas...
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