C’est par la photo d’un bombardement d’artillerie en août 2013 que se termine la petite mais très intéressante exposition sur “Le Crac des chevaliers – Chroniques d’un rêve de pierre” qui se termine ce 4 mars à la Cité de l’architecture et du patrimoine de Paris, au Palais de Chaillot, en partenariat avec la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine qui a fourni une riche documentation.
2013, c'est la date à laquelle le Crac a été inscrit parmi les 55 biens du patrimoine mondial en péril. Le Crac, qui verrouille la route de Homs à Tartous sur la Méditerranée, juste au nord de la frontière libanaise, figure depuis 2006 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, avec le château de Saône auquel cette exposition consacre également une section. Celui-ci, plus au nord de la Syrie et dans les montagnes au-dessus de Lattaquié, est appelé aussi forteresse de Saladin.
Héritier d’une double culture occidentale et orientale, le Crac a été édifié d’abord par les Francs sur un site antique romain, et l’historique montre les différentes phases de construction de ce fort acquis en 1142 par l’Ordre des Hospitaliers, puis pris en 1271 par les Mameluks du sultan Baybars qui vont le compléter avec un hammam et des tours d’enceinte face au sud. Maquettes en plâtres, dont celle du sculpteur Etienne Prévost pour l’Exposition coloniale de 1931, plans, photos, visuels numérisés, l’explication est détaillée sur les différentes phases de cette édification. Parmi les documents exposés, le “carnet N°2” (1928) du peintre François Anus, avec des photos et des explications détaillées faisant partie d’une série de seize carnets de notes prises en Syrie.
La redécouverte et la restauration de ce monument, l’un des plus beaux de la région et dans un état rare de conservation (avant les derniers bombardements) est le résultat d’efforts conjugués d’archéologues et de militaires qui ont su mettre en valeur le Crac, dès la fin du 19e siècle mais surtout à partir de 1927 avec l’historien Paul Deschamps. Celui-ci se passionne pour cette fortification et bénéficie de l’aide des autorités du mandat français, qui font l’acquisition du site en 1933, après deux campagnes de déblaiement et de restauration.
Documents intéressants sur le travail en Syrie des géographes et des pionniers de l’archéologie aérienne, dont le Jésuite Antoine Poidebard, qui a mis au point des techniques d’observation du relief et des nuances du paysage pour identifier des sites archéologiques. Il embarquait, nous explique-t-on, sur les Bréguet XIV et les Potez 25 de l’aviation française au Levant, ici second à droite en combinaison de cuir. Juste au-dessous, huile sur toile de Marius Hubert-Robert, appartenant et sans doute commanditée par le général Gouraud, Haut-Commissaire de la France au Levant.
L’ancien village construit dans les remparts (photo du haut à gauche) est évacué à l’extérieur de l’enceinte militaire en 1934, en vertu des accords d’acquisition par la France au gouvernement de Lattaquié, et l’agglomération actuelle se situe désormais en contrebas de l’ensemble fortifié (photo du milieu).
A droite une aquarelle de Pierre Vignal de 1922, faisant partie d’une série demandées par le Général Gouraud pour illustrer le site et le faire connaître en France. Les soldats des l’armée française du Levant, renforcés par des unités autochtones des “troupes spéciales du Levant” (ci-dessus à gauche) sont mobilisés pour participer au déblaiement du Crac.
La présentation du Crac des chevaliers est complétée par une visite numérisée en 3D, très réaliste et faite à partir des relevés précis de l’ensemble du site, outil essentiel pour les travaux de restauration présents et futurs menés sous l’égide de l’UNESCO.
Le château de Saône, en moins bon état que le Crac mais très suggestif dans son site naturel de collines boisées, est présenté par une maquette d’Etienne Prévost, également réalisée pour l’exposition coloniale d’après les plans de François Anus. Forteresse byzantine, consolidée par les Croisés, elle est prise par Saladin en 1188.
Le plus spectaculaire de ce château est la douve creusée dans la montagne avec une paroi à pic et un pilier étroit supportant un des ponts d’accès, encore intact aujourd’hui (photo à gauche prise en 2002). La partie supérieure du fort est en relativement bon état de conservation après restauration, seuls subsistent de la partie inférieure les remparts, les structures qui les dominaient étant éboulées et recouvertes de verdure, mais ce château en est d’autant plus impressionnant. Pour qui a eu la chance de visiter ces deux sites, célébrés dans toute la littérature “orientaliste”, cette exposition était un complément très appréciable et un signe fort que le patrimoine historique peut survivre aux ravages du temps et des destructions.
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