C’est l’histoire d’un mec, un mec qui se prenait pour Céline. Avec le même parti pris de provoquer. Mais il n’en avait ni le style, ni le souffle. La preuve, c’est que ses bouquins ne résistent pas au temps, comme s’ils souffraient eux aussi d’obsolescence programmée. J’en ai fait l’expérience en me plongeant dans « Soumission », ce best-seller international d’un auteur qui a repris les recettes de Barbara Cartland et Gérard de Villiers (en beaucoup moins drôle) pour les détrôner dans la littérature de gare.
Avec ce livre, j’ai fait un voyage au milieu de la nuit, sans espoir d’arriver au bout, et pourtant j’ai terminé le livre, les paupières lourdes, malgré un ennui croissant à peine compensé par des agacements récurrents devant l’abondance des clichés et la pesanteur d’une écriture complaisante.
Commençons par le style : l’auteur est bien un contemporain, qui écrit comme on se fait un selfie, en se regardant constamment dans la glace, un peu comme le héros de cet autre roman qui s’appelait « Un président ne devrait pas dire ça ». C’est le triomphe du moi-je-me-moi.
Rien ne nous est épargné, de sa sexualité indigente à l’auto-célébration de sa thèse en littérature, caricature d’un universitaire qu’il n’est visiblement pas (« je n’ai pas fait d’études universitaires », admet-il en post-face). Ses pseudo crises mystiques, la visite d’un monastère où il va sans y aller, où il est sans y être, où il retourne sans y avoir été, juste pour dire aux cathos qu’il est plutôt de leur côté même s’il n’en est pas vraiment, un clin d’œil en passant.
Passons aux musulmans, donc à l’intrigue qui est plus qu’intrigante : une conjonction d’efforts de deux extrêmes, des identitaires d’extrême-droite et des musulmans radicalisés, arrive à bousculer les partis traditionnels pour permettre au candidat musulman modéré de la “fraternité musulmane” de prendre le pouvoir par une coalition « antifa » de circonstance dont le chef de file est ce musulman modéré.
Bien vu pour l’effondrement des partis traditionnels (PS, UMP), charges gratuites répétées contre le malheureux Bayrou (l’auteur abhorre les centristes), regard complaisant pour Marine Le Pen, mais brusquement les violences insurrectionnelles du début cessent et les identitaires disparaissent du paysage. Pratique pour le roman, mais assez incongru, surtout lorsqu’il explique que certains identitaires se convertissent facilement à l’islam. Ben voyons !
Bref, dans cette France subjuguée par le nouveau courant musulman modéré (il joue sur le fait que musulman veut dire soumis – mais soumis à Dieu, il n’a pas vraiment creusé le sujet), la France molle se laisse dévorer et l’on voit se réaliser tous les phantasmes de la droite radicale : femmes rhabillées, voilées et renvoyées à la cuisine, séparation des sexes dans l’enseignement, polygamie… Toutes les peurs contemporaines sont ici rassemblées et expliquent certainement le succès commercial du livre. Sa connaissance de l’islam se résume vraisemblablement au thé à la menthe qu’il est allé siroter à la grande mosquée de Paris.
Après les Chrétiens, et les Musulmans, les Juifs : c’est simple il n’y a pas (plus) de problème, ils partent en Israël, et en plus sa copine lui est infidèle car elle va « rencontrer quelqu’un » sur une plage de Tel-Aviv. L’aigreur de l’écrivain est transparente sous le prétexte du personnage frustré.
Et pourquoi ce livre date-t-il et ne survivra pas au temps ? Parce que derrière le parcours pathétique d’un pseudo universitaire en mal de reconnaissance (y compris par les femmes) qui finira par sombrer dans la soumission attiré par la perspective d’un beau salaire, d’un bel appartement et de plusieurs épouses jeunes choisies pour lui parmi ses étudiantes, il ignore la réalité d’une société française vivante et évolutive.
La preuve, il n’avait pas pu prévoir en 2015, mais personne d’autre non plus, que le vide béant laissé par l’implosion des partis traditionnels serait aussi facilement rempli en 2016 par un candidat plus jeune et détaché de ces partis avec le slogan “En marche” (EM) ni qu’un autre candidat prendrait comme slogan “la France insoumise” (LFI). N’en déplaise à certains auteurs germano-pratins qui cultivent un look ténébreux limite cradingue, et à tous les scrogneugneux qui nous annoncent la fin du monde, la France n’est jamais immobile, encore moins soumise. Au fait, pardonnez-moi, aujourd’hui elle est en marche et la conjonction des extrêmes de droite et de gauche dans certaines manifestations n’est que tactique et ne résiste pas non plus. Non, je ne lirai pas Mélatonine !
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