Pas possible de clore cette visite à la communauté amazonienne Waorani de Bameno, dans le Parc Yasuni, sans rendre hommage à l’hospitalité de ses habitants et à la façon qu’ils ont d’exprimer leur fierté de préserver et de partager leurs traditions. Car avant son départ, le visiteur a droit à une cérémonie de danses et de chants réellement très dépaysants sans être le moins du monde exotiques. Ce n’est pas un spectacle sur mesure pour touristes, c’est bien une cérémonie partagée.
Les hommes ont pour seul vêtement un brin de coton qui fait le tour de la taille et suspend leur sexe à la hauteur du nombril. L’auteur du mauvais « Nager avec les piranhas » chercherait en vain les étuis péniens qui l’ont fait fantasmer, ici c’est le string en version minimaliste et purement utilitaire. Car la nudité chez les Waorani n’a rien de symbolique, ni d’esthétique, ni même de sexuel, elle est simplement naturelle. Pour comprendre cette notion, il suffit de marcher une heure dans la forêt dense pour avoir les vêtements trempés de transpiration et vouloir les enlever.
Mais eux le peuvent et le font plus ou moins aujourd’hui, car ils ne vont plus à la chasse tout nus sauf dans les documentaires, mais nous nous ne le pouvons pas. Car même avec un pantalon et une chemise manches longues comme recommandé, on est attaqué, les occidentaux sont attaqués car ils ont perdu l’état de nature et sont attaqués par toutes sortes d’insectes voraces et agressifs par rapport auxquels le moustique est une plaisanterie.
Je fais une digression pour redire que les moustiques sont, sinon neutralisés, en tous cas limités par la batterie de moyens dont on dispose maintenant : moustiquaire pour dormir, vaporisateur de répulsif pour les vêtements, solution répulsive pour la peau, à quoi s’ajoutent les herbes et essences qui sont insupportable aux moustiques – géranium, eucalyptus, citronnelle – et mon pharmacien m’a préparé un mélange d’eucalyptus acryoptome, de giroflier et de palarosa. En revanche tout le reste n’est pas dissuadé, petits et gros taons, armarillo, micro-araignées vous piquent impunément et massivement.
Alors comment font-ils, les Waorani et les autres ethnies amazoniennes, pour se balader en tenue légère dans la forêt vierge sans être inquiétés ou presque ? Penti chasse en short (pratique pour les poches) et pieds nus, les autres ont un maillot de corps en plus, c’est tout. Ils me répondent que leur peau est tannée par le soleil, comme la plante de leurs pieds est durcie et endurcie, mais surtout que leur peau est imprégnée de la fumée qui flotte en permanence dans leurs grandes cases grâce au feu allumé juste au milieu. Il faut du temps pour s’habituer à cette odeur de brûlé qui flotte partout dans le village, mais les moustiques ont effectivement horreur de ça. C'est comme nos petits serpentins verts, mais en beaucoup plus grand.
Mais revenons à nos danseurs, qui trépignent d’impatience. Et leur danse commence par un piétinement en cadence, avec une mélopée à la fois traînante et syncopée, avec des variations de ton et de rythme lancées par le chef et reprises par les autres. Ils avancent et reculent, ils tournent et retournent, toujours menés par leur chef, et au bout d’une grosse demi-heure ils sont comme en transes et totalement en nage.
Vient alors le tour des femmes, chez qui la nudité est au contraire l’occasion d’une coquetterie de bijoux en graines et en plumes, non pour cacher quoi que ce soit mais pour se mettre en valeur, y compris la peinture du visage. Le masque rouge autour des yeux est un signe distinctif des Waorani, les autres communautés n'ont pas les mêmes peintures. Les femmes chantent sur un ton plutôt aigu, encore une fois on pense à des pays d’Asie en écoutant ces voix de tête.
Leur danse est forcément plus menue, moins en force, mais les deux groupes se complètent très bien lorsqu’enfin ils se mettent à danser et chanter ensemble. Ce qui me fait dire que c’est tout sauf un spectacle touristique, c’est qu’à aucun moment ils ne regardent les spectateurs, visiteurs ou autres membres de la communauté. Et même si c'est une société où c'est l'homme qui domine et décide, on remarque dans leurs rapports une certaine harmonie et l'absence de comportement machiste. C’est bien une cérémonie qui m'est offerte, et le fait de vouloir la partager est un beau cadeau d’adieu.
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