L’Équateur est un pays extraordinaire où les manifestants qui ont paralysé le pays pendant douze jours décident, après que le président eut accepté de retirer le décret 883 et ses mesures drastiques d’austérité, de consacrer une journée de mobilisation supplémentaire pour nettoyer la capitale, les villes de province et toutes les routes où ont été dressés des barrages : c’est la « minga », le grand nettoyage (photos ci-dessus et ci-dessous prises sur Twitter).
Le mouvement a vite été récupéré par la mairie de Quito, par tous ceux qui en voulaient à »ces sauvages d’Indiens » (vu sur un commentaire de médias sociaux) pour les actes de vandalisme commis pendant les manifestations, et même par des fabricants de peinture et des importateurs de voiture se faisant de la publicité sous le hashtag #mingaporquito. Mais il faut reconnaître qu’il a été véritablement lancé par le président de la CONAIE (coordination des nationalités indigènes de l’Équateur) Jaime Vargas lorsqu’il a pris la parole juste après la déclaration du coordinateur des Nations Unies annonçant le retrait du décret 883.
C’est le témoignage que j’ai recueilli aujourd’hui à Consuelo-Sharupi, une communauté Shuar sur la rive du Pastaza, à l’endroit stratégique du seul pont qui traverse cette rivière large et rapide. Severino, jeune militant qui revenait épuisé et affamé de Quito après douze jours à manifester avec tous les militants représentant les différentes communautés indigènes, raconte. « On a commencé par établir des barrages dès le mardi 2, puis le jeudi 4 nous avons participé à une assemblée à Puyo, pendant laquelle les représentants des transporteurs routiers nous ont laissé tomber. Il y avait des policiers et des militaires qui nous ont attaqués et ont arrêté deux dirigeants des organisations indigènes . Donc nous sommes restés à Puyo pour obtenir la libération des dirigeants puis nous avons informé nos communautés des décisions prises. »
C’est alors qu’une grosse délégation de la région de Pastaza est envoyée à Quito pour participer au mouvement : Severino est précis, il y avait 170 Shuar, 138 Achuar, une cinquantaine de Kichwa, et un groupe d’une trentaine entre Waorani, Zapara, Andoa et Shiwiar. Autant dire tous les groupes ethniques de cette région.
Ces presque 400 manifestants s’entassent dans des camions, bus et camionnettes et prennent la route de Quito, pourtant barrée partout. « Les barrages nous laissaient passer avec enthousiasme ». Ils arrivent dans la capitale et trouvent à se loger dans les différentes universités, UCE, Catholique, Université andine Simon Bolivar, Salésienne, etc. Quelques-uns trouvent de la place à la Maison de la Culture, QG des manifestants.
« Nous avons passé onze jours difficiles, nous n’avions rien apporté à manger, on manquait de tout, et nous étions au contact en permanence avec la police et les gaz lacrymogènes ». Arrive enfin le dimanche soir, avec la réunion de la dernière chance organisée par le coordinateur des Nations Unies et le vice-président de la conférence épiscopale. « C’était transparent, nos représentants avaient des téléphones portables et diffusaient la réunion en direct et sans rien couper », contrairement à la télévision nationale.
« Lorsque le coordinateur des NU a annoncé le retrait du 883, ça a été une explosion de joie, et nous n’avons même pas écouté la suite du communiqué. Après lui c’est Jaime Vargas qui a pris la parole pour annoncer la fin du « levantamiento », le soulèvement, et a pris l’engagement de réduire la mobilisation. »
« j’ai envoyé une phrase sur Whatsapp à tous mes contacts pour dire que ce soir nous célébrions la victoire et que demain lundi nous allions consacrer une journée au nettoyage de Quito », ce qu’une porte-parole a simultanément annoncé au micro. Et ce n’est que le lundi soir que Severino a pu repartir avec ses frères et sœurs, car ils étaient venus à cinq, et regagner leur communauté de Consuelo.
Sur place, leur mère Imelda était restée vigilante derrière son barrage. Nous étions trois femmes et nous n’avons laissé passer personne, même quand on nous proposait de l’argent ou de la nourriture. Notre barrage a été levé lundi, nous avions été parmi les derniers ».
La minga a fait son effet : les troncs d’arbre et les blocs de pierre ont été ramenés sur le bas-côté, l’accès au pont stratégique sur le rio Pastaza, qui coupe la route entre Quito-Puyo et Macas-Sucua est à nouveau ouvert, les autobus défilent à nouveau avec les camions...
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